Kimagure OrangeRoad

 

"À travers le miroir

 

( Behind The Orange Dream )"

 

par Edric (Felarian)

 

 

          Images pastel… Des contours, des formes, des couleurs qui résonnent comme une sonnerie nostalgique… Un air reconnaissable et mélancolique pareil à celui d’une boîte à musique découverte dans le fin fond d’un grenier… Des sourires, des larmes de joies, de peine… Le soleil qui se couche dans les vapeurs d’une tasse de café servie après les cours, dans le creux d’un après-midi de printemps... Des rires qui s’éteignent… Tendrement… Un rêve qui recommence.

 

        J’ai eu une adolescence excessivement solitaire, sinistre, coincée entre des idéaux absurdes et une timidité teintée de frustration. J’ai baissé les yeux quand il fallait affronter des regards hostiles ou curieux, je me suis glissé dans un linceul de morbidité complice, savourant malgré moi les délices de ma propre souffrance.

        Je me suis noyé dans la consolation apportée par la musique et les visions de mon imaginaire grandiloquent. Et j’ai rencontré Kimagure Orange Road un après-midi de printemps lumineux et doux.

        Ce furent d’abord des images presque familières, comme l'écho d’un lointain souvenir. Curieux plus que passionné, j’ai regardé un épisode déjà entamé, ne comprenant quasiment rien de l’intrigue, interloqué par les personnages, amusé, et pourtant certain de tenir là quelque chose d'essentiel.

        Le lendemain je recommençais, tâchant cette fois-ci de ne pas rater le début. Et les jours suivants. Le puzzle prenait forme. Les pièces s'assemblaient en donnant vie à un concept que j’ignorai encore. Sans le savoir, je m’identifiais doucement.

        Il est difficile pour moi de déterminer à quel moment Kimagure devint plus qu’un divertissement, plus qu’un dessert subtil après le lycée. Quelques épisodes furent nécessaires je pense, étant donné que j’avais dû prendre la série en marche après sans doute la diffusion d’une dizaine d'épisodes.

        Je n’ai pas connu la légèreté des flirts adolescents, les petites soirées lycéennes ou les crises vestimentaires. J’ai pris le pli de la résignation beaucoup trop tôt, sachant renoncer au moindre doute, j’ai mis un frein à mes libertés en m’inondant d’images délirantes, en croyant que tout s'arrangerait avec le vent soufflé par les années. J’ai atteint l’âge adulte en me raccrochant à un dessin animé. La deuxième année de diffusion de la série, soit l’été suivant, j’attendis avec anxiété les premiers épisodes. Malheureusement je les ratais de peu. Peu importait, le train était définitivement en marche, j’étais possédé, je ne me contentais pas de partager ces aventures étranges et magnifiques, je les vivais pleinement en moi, j’en faisais l’antichambre de ma solitude, je m’y enivrais, j’étais sublimé, libéré et enchaîné par la spirale de mon inconscience.

        Il est complexe d’expliquer les raisons d’une telle passion. J'avais certes des prédispositions : j’avais déjà suivi des dessins animés comme « Macross » ou «  Maison Ikkoku » avec ferveur et attachement. Et là aussi j’avais vécu pleinement chaque rebondissement, m’identifiant et me projetant dans les déboires des héros souvent malheureux !

        Pourquoi était-ce si différent alors ? Pourquoi lorsque je ne dois citer qu’un dessin animé marquant, c’est toujours Kimagure qui l’emporte ? Etrange…

        Je pense d’abord que l’identification avec Kyosuke fut totale et sans retenue. Comme lui j’étais maladroit (et particulièrement avec les jeunes filles de mon âge), et comme lui l’indécision me taraudait sans cesse. Mais le plus important, comme lui je voulais avoir des amis fidèles qui m'apprécient, comme lui je voulais rencontrer une fille qui m’aurait écouté et qui aurait su s’attacher à moi. Grâce à Kyosuke, j’ai pu combler lâchement mon existence solitaire et dépressive en me projetant dans la série, en franchissant le miroir de l’identité, en devenant un personnage sans ombre aux couleurs pastel, heureux de vivre, tout simplement.
 

REFLEXION

DISTORSION

MUTATION

        Kimagure Orange Road est à mon sens un dessin animé souvent maladroit, un peu farfelu et très irrégulier. Mais c’est ce qui le rend tellement attachant, si humain en fin de compte. Il possède une véritable empreinte, une âme que je n’ai jamais vue autre part dans un dessin animé. Il est touché par la grâce.

        « Ils restent ainsi là-haut jusqu’à ce que tous les élèves aient quitté le lycée, jusqu’à ce que le vacarme de leurs discussions et de leurs appels s'enfoncent dans le lointain pour ne devenir plus qu’un bruissement à peine audible, qui se confond progressivement avec le soupir de la ville partagé entre le chant des oiseaux et le bourdonnement des voitures. Alors seulement ils descendent [ … ] Des escaliers muets où seuls résonnent leurs bruits de pas sur le carrelage à peine sec, des couloirs devenus soudainement spacieux et dans lesquels ils peuvent à loisir s’arrêter pour regarder le soleil disparaître à travers les baies vitrées [ … ] Puis ils décident de partir pour de bon, laissant ce fantôme de pierre et de bois se perdre dans ses rêveries mélancoliques que hantent certainement les voix de plusieurs élèves, le crissement des craies sur l’ardoise sombre, et les rires étouffés venus de nulle part glissant le long des murs et se faufilant dans le crépuscule par les fenêtres entrouvertes. »
 

 

" Ils restent ainsi là-haut... "

 

         Grâce à Kimagure Orange Road, j’ai vécu des joies immenses et des peines sans retenue. A chaque rediffusion, j’étais comblé, capable de me lever un dimanche à 7 heures du matin s’il le fallait, ou de manquer un cours pour ne pas rater le moindre épisode. Je n’oublierai jamais non plus, lorsque j’ai vu pour la première fois en vente lors d’un salon spécialisé, la fameuse cassette vidéo du Film de KOR en français ! [ Film que je n’avais alors encore jamais vu ] Quelle joie indescriptible, quel bonheur palpable, c'était comme si ma vie était arrivée à son apogée ! J’en frissonne encore d'excitation ! Et que dire de la fois où je reçus par courrier le numéro 7 du journal Animeland consacré presque entièrement à KOR, numéro épuisé que j’avais dû acheter à un autre fan via une annonce laissée sur le Minitel ! Quand j’y repense… que de souvenirs intimes et non partagés, mais pourtant si forts !

        Mais revenons à Kimagure...

        Il y a certainement dans cette série une justesse dans le ton, une poésie latente qui m’a beaucoup touchée. Parfois, des instants à l'apparence simple et anodine prennent les couleurs du sublime, transcendant une histoire pourtant basique. Le défilement des saisons, l'importance du quotidien, la douce joie de vivre et l'insouciance de l'adolescence sont retranscrits avec émotion et sensibilité.

        Je n’ai jamais vraiment trouvé pertinent le côté « magique » de la série, à savoir principalement les pouvoirs de la famille Kasuga. Souvent, cela permet à un scénario un peu hésitant de rebondir de façon cocasse, alors qu’un déroulement plus réaliste aurait souvent été très intéressant. Bien sûr, cela confère cette touche d’originalité et de légèreté à la série, qui grâce à ces pouvoirs, évite de tomber dans la romance bon marché et répétitive. Ainsi, malgré nous, nous partageons l’embarras de ce pauvre Kyosuke, souvent victime des malentendus et des quiproquos générés par l’existence même de son pouvoir.

        Néanmoins, je crois que j’ai toujours désiré que la série prenne un accent plus dramatique et réaliste. Que n’aurais-je pas donné pour voir plus souvent des épisodes comme celui où Kyosuke monte un groupe de rock ! Mais à ma façon, je créais mentalement des épisodes imaginaires et vivais ce que je trouvais insuffisamment exploité dans la série. Ainsi, en construisant les murs de ma propre prison, je prolongeais malgré moi l'attachement à ce dessin animé, et en faisait pour toujours le compagnon fidèle de mon aliénation.

        Par bonheur, je trouvai dans le premier film de KOR ce qui finissait par me manquer dans la série : le réalisme poussé à son extrême, les sentiments mis à nu, la force de l’histoire, et la souffrance de la passion. Ce film d’animation a marqué ma vie, tel un fer chauffé à blanc brûlant mon âme pour y laisser son empreinte, j’en porte au quotidien tous les stigmates. Enfin tout le potentiel dramatique de la série était exploité comme il se devait ! Enfin je pouvais connaître la vérité et la crudité des sentiments souvent exposés de manière approximative au cours des différents épisodes. Enfin la vie prenait un sens, enfin l’innocence se perlait des larmes de la séparation et de la jalousie, enfin je pouvais me noyer d’ivresse dans les images de cet amour sublimé, déchiré, fragile parce que véritablement humain.

        A chaque fois que j’arrive au bout du film, malgré les années et l'expérience accumulée, je me retrouve comme vidé, chahuté, malmené, toujours surpris, mais avec le sentiment d’avoir enfin été comblé, d’avoir été compris, entendu, et finalement je me sens comme repu d’avoir pu vivre ce qui toujours m’avait manqué.

        Pour revenir à la série, il est un fait que je tiens à mentionner, à savoir la diversité de qualité et d’intérêt des épisodes, diversité due autant à la variété des différents scénarii qu’à la réalisation de l’animation qui va du médiocre au sublime. Ainsi, si certains épisodes du début paraissent hésitants, d’autres viendront combler cette lacune avec une grande réussite. En ce qui me concerne, la série des épisodes se déroulant durant les vacances scolaires est une pure merveille. Les histoires, très différentes du reste de la série, se parfument d’un brin de poésie et d’innocence, créent une atmosphère paisible, douce mais aussi plus grave, comme si un pas avait été franchi dans la conscience collective des personnages. Pour moi, l’épisode culminant reste celui de « l’île déserte », pourtant si simple, si limpide, et néanmoins si parfait qu’il capte toute notre attention, nous plongeant au cœur d’une tornade de sentiments complexes, amours adolescents et purs, avec comme bouclier protecteur une nature riche et sauvage dont l’océan, par le flux et le reflux de ses vagues, apaise les craintes et les peurs de l'inconnu.

        L’épisode du groupe de rock, qui vient à juste titre en fin de série, est là aussi une pure merveille. La première fois que je l’ai vu, je n’en suis pas revenu ! Un tel soin dans l’animation, pour un épisode de série télé c'était du jamais vu ! Et que dire de l’histoire si ce n’est qu’elle est à la hauteur du film ! Enfin KOR prenait les accents dramatiques tant inexploités, sans pour autant tomber dans un nihilisme bon marché de romans photos. Du grand Art.

        Voilà l’un des charmes principaux de la série : son évolution, tant du point de vue de l’animation que de l’histoire. Les personnages grandissent, sont plus sûrs d’eux et de leurs sentiments, faisant monter l’intensité du récit et l’intérêt du sujet. A ce titre, je trouve que la série est conclue magnifiquement par un double épisode plein de rebondissements, de paradoxes temporels parfaitement maîtrisés, instants magiques, comme rêvés depuis des mois, où tout se dit, lentement, à l’ombre d’un arbre et sous un soleil d’été. Il fallait que la série se termine ainsi, il n’y avait pas d'autres solutions, c’était indispensable autant qu’inéluctable, telle une bougie à court de cire qui se meurt tandis qu’une aube nouvelle se lève.

        Je ne peux conclure ce témoignage sans parler de la musique. Elle tient, je pense, une place primordiale dans la réussite de la série. Adroitement placées, de simples musiques d’ambiances easy listening peuvent teinter la moindre image d’un accent dramatique, mélancolique ou simplement humoristique. Je possède tous les Compact Discs des BGM, et même si je ne les écoute plus vraiment, je ne m’en séparerai pour rien au monde, les avoir et pouvoir les écouter n’importe quand prolonge la magie de l’instant et laisse la part de l’adolescent qui est encore en moi sommeiller d'un amour paisible et complice.

        Les années ont passé.

        A présent la vie s’offre à moi plus sereinement. J’ai grandi, mûri, peut-être en bien, peut-être en mal, mais là n’est plus le propos. Au fond de moi, résonne une cloche paisible, calme et détendue, un opéra limpide après un après-midi de tempête. Il est temps de tourner la page et de refermer le livre, en prenant soin, cependant, de le laisser bien en évidence sur la table de chevet.

        Au cas où…

 


 

Edric
Novembre 2000
 

 

 

 


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