Nous Voulons Connaître Vos Sentiments

CROSS OVER THE PRISONER – KIMAGURE ORANGE ROAD

Par JérômeActarus

 

ACTE 1

Madoka ouvre les yeux. Elle réalise presque aussitôt que son réveil n’a pas sonné et qu’elle sera absente aux premiers cours de la matinée. Aucune importance, ce n’est pas la première fois. Une chose l’intrigue rapidement. Cette lumière n’est pas exactement celle qui, d’habitude, envahit sa chambre au matin. Elle remarque aussi le bruit ou plutôt l’absence de bruit ; pas de moteur accélérant, pas d’avertisseur, pas de passage de véhicules, juste du vent et quelques oiseaux. Madoka se lève brusquement et va ouvrir sa fenêtre pour se figer de stupeur : ce n’est pas sa maison. Si l’intérieur de son habitat est parfaitement identique, l’extérieur ne ressemble en rien à une ville du Japon. Le décor est à la fois magnifique et inquiétant, magnifique par ses maisons aux peintures vives, ses jardins verdoyants, ses massifs fleuris et par sa fontaine au milieu d'une place, inquiétant parce que désert et trop calme, inquiétant parce que l'endroit est totalement inidentifiable. Elle s'habille rapidement, tous ses effets sont dans ses placards tel qu'elle les avait laissés. Elle hésite un peu entre son uniforme de lycéenne qu'elle aurait dû porter en ce jour mais opte finalement pour une tenue civile, adaptée à l'air humide et tiède du coin. Dehors, toujours ce silence, pas âme qui vive et la forêt pour horizon. Elle aperçoit une tour, ressemblant à un campanile, qui domine l'ensemble. Du haut de celle-ci, elle n'est pas plus avancée sur sa situation. Autour d'elle, une baie sableuse découverte par la marée basse, la mer et un ensemble de collines au cœur d'un ciel nuageux. Elle redescend pour s'approcher de la terrasse d'un café, où les tables semblent avoir été mis en place récemment, prêtent à accueillir les premiers clients de la matinée.

Homme – Bonjour Madoka, bien dormi ?
Madoka – Qui êtes-vous et qui vous a permis de m'appeler Madoka !?
H – Ne vous méprenez pas, cela n'a rien d'impoli, les familiarités sont courantes, ici.
M – Justement : où sommes-nous ?
H – Juste un village, loin de chez vous, peu importe l'endroit précis. Ne le trouvez-vous pas charmant ?
M – Je l'apprécierai une fois que je saurai ce j'y fais.
(ironique) J'imagine que je ne suis pas l'heureuse gagnante d'un voyage tous frais payés.
H
(souriant de la remarque) – C'est presque cela. Sachez que nous ferons tout pour vous vous y sentez bien, telle est la volonté du Suiveur.
M – Le Suiveur ?
H – C'est lui qui vous a fait venir ici, je suis son assistant et d'ailleurs vous pouvez m'appeler ainsi : l'Assistant. Le Suiveur a des questions à vous poser, vous êtes ici pour y répondre.
M
(inquiète) – Quel genre de question ?
A
(d'un ton grave) – Il veut savoir notamment quels sont vos sentiments exacts pour Kasuga Kyôsuke.
M – Qu'est ce que c'est que cette histoire ? Cela ne vous regarde absolument pas. Et vous ne voulez quand même pas me faire croire que vous m'avez déménagée, moi et mes affaires, à un autre bout du monde, juste pour me demander ce que je pense d'un de mes camarades de classe ? !
A – Madoka, votre vie a beaucoup d'importance pour le Suiveur. Et nous savons que Kyôsuke a beaucoup d'importance pour vous.
M – Qu'est ce qu'il vous fait dire cela ?
A – Nous le savons, tout comme nous savons beaucoup de choses vous concernant.
M – Quoi par exemple ?
A – Que c'est lui qui vous a fait arrêter de fumer. Que vous avez pris le temps de l’aider dans ses révisons au dépend un peu des vôtres et tout en sachant qu’il en faisait profiter Hikaru. C’est lui aussi qui vous a probablement fait renoncer à votre voyage aux Etats-Unis, qui vous a incité à participer à cette course inutile, et c’est pour lui que vous avez, peut-être inconsciemment, changé votre attitude parmi les autres. Même dans votre façon de le gifler, on sent l'intérêt que vous lui portez. Et il y a encore beaucoup d'autres indices comme ceux-là que nous connaissons.

Madoka est sans voix. Comment ont-ils pu être informés de détails aussi personnels sur sa vie privé ? C'est comme si elle avait été espionnée, suivie, épiée depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.

Serveuse du café – Une table pour deux ?
A – Oui, s'il vous plaît. J'imagine que vous avez faim ?
M – A vrai dire pas tellement, plutôt l'envie de vomir.
A
(riant) – Allons, vous n'allez pas rester sans manger. A propos, je ne sais même pas ce que vous prenez pour le petit déjeuner. (à la serveuse) Pour moi, comme d'habitude s'il vous plaît.
Serveuse – Et pour vous, Madoka ?
M – La même chose que monsieur l'Assistant.
A – Ah, vous ne voulez pas m'aider à compléter nos connaissances sur vous. Voilà une attitude qui offense le Suiveur.
M – Si votre Suiveur sait tellement tout sur moi, pourquoi a-t-il besoin de mes réponses ?
A – Le Suiveur ne sait pas tout sur vous, il connaît certains détails précis et secrets de votre vie, tout en ignorant d'autres pourtant plus importants et moins cachés. Mais ce que ne supporte pas le Suiveur, c'est le doute. Toute information doit être confirmée, sinon elle ne sert à rien, sauf à élaborer des théories qui n'aboutissent jamais. Vous êtes donc la seule capable de nous dire si oui ou non vous êtes réellement amoureux de Kyôsuke. A moins que n'arriviez pas à le savoir vous-même.
M – Et si je ne vous dis rien ?
A – Vous resterez ici… d'ailleurs, il y a pire comme endroit.
M – Vous voulez dire pire comme prison ?

L'Assistant n'a même pas le temps de répondre à cette remarque railleuse, que la serveuse apporte les plats. Au menu, croissants, chocolatines, crêpes, bols de céréales diverses, tranches de pastèques, d'ananas, d'agrumes, salade de fruits, jus de fruits, thé, lait, bref que du sucré.

M – Nous sommes en Europe n'est ce pas ?
A – Bien deviné.

L'Assistant est un occidental d'une trentaine d'année, courtois, d'allure sympathique, habillé de façon décontractée. Mais rien de cela n'arrive à rassurer Madoka qui ne lui communique que de la méfiance, chose dont celui-ci s'accommode. Le repas terminé, il lui propose de découvrir le village et d'aller à la rencontre des habitants qui peu à peu apparaissent. En marchant dans les rues, allées et jardins, tous la reconnaissent et la saluent amicalement par des "Bonjour Madoka" et "Bienvenue Madoka". Un cadre magnifique, une population chaleureuse, tout devrait l'aider à se sentir bien si elle n'avait pas été kidnappée. Ils s'approchent du port où le seul bateau présent est bétonné au bord du quai.

A – Comme vous pouvez le constater, l'endroit est plutôt difficile pour la navigation, y compris pour les petites embarcations. La mer ne recouvre entièrement la baie que lors des grandes marées laissant la plupart du temps un large plan sableux.
M – Tous ces gens-là ont été également amenés de force ici, où il n'y a que moi ?
A – Vous n'êtes ni la première, ni la dernière à ne pas avoir choisi. Mais la plupart des villageois sont présents volontairement. Justement pour rencontrer ceux qui ne le sont pas.
M – Amenés ici pour répondre à des questions ?
A – Oui, tout comme vous, ou parfois pour autre chose.
M – Dites au Suiveur qu'il perd son temps avec moi !
A – Le temps n'a pas d'importance pour lui. Il dispose de certains pouvoirs qui lui permettent de ne pas en être esclave.
M
(ironique) – C'est ça ! Et quoi encore ?
A – Il est capable de ressusciter les morts, de faire croire à des miracles ou de connaître les pensées de certaines personnes.
M – Pas les miennes si j'ai bien compris.
A – Effectivement. Tenez, laissez-moi vous présenter un de nos plus anciens villageois. Un de ceux que le Suiveur a pu ramener à la vie.

L'homme est assis sans bouger dans un vieux rocking-chair. Son visage est, en parti, caché par son couvre-chef. Il fume une pipe assis devant une table où est disposé un jeu d'échec déjà entamé.

M (amusée) – Et il s'habille toujours de façon aussi ridicule. On dirait, on dirait… vous savez….?
A – Oui, c'est lui en personne. Maintenant continuons la visite vers la plage.

Madoka suit l'Assistant. Tous deux se retrouvent marchant sur ce sable qui s'étend presque jusqu'à l'horizon. Parfois il est nécessaire de sauter par-dessus quelques petits courants d'eau refluant vers le large. En s'éloignant du port, ils atteignent des espaces où il est de plus en plus pénible d'avancer. Pénible et alarmant, les jambes de Madoka s'enfoncent toujours plus profondément, le sable atteint presque ses genoux.

M – Vous êtes sûr que l'on peut aller loin comme ça ?
A – Non pas vraiment, ce genre d'endroit peut devenir rapidement dangereux. Certains ont payé leur balade du prix de leur vie.
M – Vous m'avez fait marcher jusqu'ici pour me faire comprendre que ce n'est pas par-là que je pourrais m'enfuir ?
A
Oui, c'est un peu ça.

Ils rebroussent chemin pour retrouver la terre ferme. De là, l’Assistant la guide vers l'Ouest par le chemin qui longe la baie. Au bout de plus de 500 mètres, ils atteignent un petit phare, une autre limite à ne pas franchir. Ils reviennent au village en empruntant les sentiers à travers le bois. Le bois où se mêlent une végétation naturelle et une végétation importée et entretenue. Au détour d'un chemin, ils atteignent un cimetière. Madoka en a une pensée apeurée.

M – Je vois que certains sont morts avant d'avoir parlé.
S
(éclatant de rire) – Non, on n'enterre que des chiens ici ! Tenez c'est inscrit sur la pancarte.

De retour au village, l'Assistant lui montre deux arches, l'une au Nord et l'autre au Nord-Est, deux autres points à ne pas s'éloigner trop au-delà pour elle. Puis ils reviennent au port, leur point de départ. Madoka pointe son doigt vers l'Est.

M – Et par-là ?
A – Les parois sont abruptes de ce côté et il n'y a aucun chemin qui longe. Il est impossible d'y aller à pied.
M – Et, en face, sur l'autre bord de la baie ? Il n'y pas l'air d'y…
A – Mais qu'est ce que… !? Je croyais qu'il avait été détruit !

L'Assistant n'écoute plus Madoka, ses yeux sont fixés sur la plage. Il aperçoit un gros ballon blanc d'environ 3 mètres de diamètre qui roule en s'éloignant du village. Elle aussi suit le spectacle sans comprendre de quoi il s'agit. Un homme assez jeune s'approche de l'Assistant en lui tendant une paire de jumelles.

Homme aux jumelles – Non, ce n'est pas ce que vous croyez. Regardez.
A – Bon sang !

Celui-ci regarde autour de lui pour reconnaître et interpeller deux hommes et une femme qui semblaient n'être que de simples passants mais qui s'avèrent être des gardiens à ses ordres. Trois acolytes qui en ameutent d'autres pour organiser la poursuite. L'Assistant annonce qu'il prend l'hélicoptère et rend la paire à son propriétaire en lui demandant de rester sur place. Madoka apprécie ces quelques instants où on ne s'occupe plus d'elle. Sauf l'homme aux jumelles qui, intimidé, la regarde d'un sourire un peu niais. Elle comprend qu'elle est, une fois de plus, reconnue et désigne son outil d'observation.

M – Je peux ?
H aux J
(gardant son sourire benêt) – Oui, oui, bien sûr Madoka.

Madoka prend l'instrument et distingue l’individu qui semble sur le point de réussir son évasion. Le ballon est en réalité une bulle d'air transparente à l'intérieur de laquelle un homme court pour la faire avancer vers l'autre côté de la baie. Le système permet de ne pas s'enfoncer dans le sable et de garder le même rythme de progression en traversant les quelques zones d'eau peu profonde. Elle rend les jumelles.

M – Tenez, continuez à observer, vos collègues pourraient avoir besoin de votre aide.

Madoka sait que le moment est idéal pour tenter, elle aussi, de fausser compagnie à ses geôliers. Tous les gardiens semblent préoccupés par le fuyard à la bulle.

 

 u u u u u

 

 

ACTE 2

Madoka revient dans sa maison du village. Comme tout son mobilier et toutes ses affaires y ont été acheminés, elle peut donc rapidement récupérer d'autres vêtements pour se rendre méconnaissable : un imperméable ample, un bonnet pour dissimuler ses cheveux et des lunettes de soleil. Même si ce dernier élément n'assure pas vraiment de discrétion par un temps aussi peu ensoleillé, le plan fonctionne. Dehors, plus personne ne la salue en l'appelant de son prénom, plus personne ne reconnaît Ayukawa Madoka. Discrètement, elle se dirige vers la sortie du village en suivant la foule et franchit l'arche sans problème. Après une vingtaine de mètres, elle arrive sur un parking où chacun a sa voiture qui l'attend. Madoka, elle, n'a que ses jambes pour partir. Pour cela, elle aperçoit une route de campagne qui part d'un hôtel-restaurant construit dans un style médiéval. Des champs bordent le côté gauche de la voie, tandis que sur le droit se succèdent un fossé, un chemin piéton et une douzaine de maisons champêtres. Elle entame sa marche d'un pas rapide sans se retourner. Alors qu'elle commence à se croire délivrée du village, elle ressent un brusque effet de fatigue au bout d'une cinquantaine de mètres. Malgré toute sa volonté, ses forces diminuent rapidement et ne lui permettent plus de progresser. La sensation de malaise grandit et l'empêche désormais de se tenir debout. Se retrouvant à terre, ne pouvant plus faire fonctionner ses membres, elle perçoit l'arrivée de plusieurs personnes qui viennent à son secours. En prêtant attention à son visage, ceux-ci la reconnaissent et préviennent les gardiens du village qui n'avaient pas pu éviter son échappée. Ceux-ci la ramènent à moitié inconsciente à bord d'un petit véhicule ambulance. De retour dans l'enceinte du village, elle retrouve lentement ses esprits et sa santé. Elle descend vers la place centrale et s'assoit sur une marche sous les colonnades. Là, elle est rejoint par l'Assistant qui la sermonne.

A – Je vous ai pourtant expliqué que vous ne pouvez pas sortir d'ici toute seule. Il est impossible pour vous de survivre au-delà des limites du village. Et seul le Suiveur a le pouvoir de vous ramener chez vous.
M
(en colère) – je sais, je sais, soit je coopère, soit je reste enfermée ici pour la vie.
A – Votre vie n'est pas ici. Vous n’y faîtes qu’un passage, alors sachez faire ce qu'il faut pour qu'il ne s'éternise pas. Ne vous entêtez pas dans un mutisme comme vous vous êtes entêtée à protéger Hikaru.

Sur ces paroles, l'Assistant s'en va. Madoka se retrouve seule face au gazon qui entoure la place et la fontaine. Ses yeux se ferment et sa tête se recroqueville sur ses genoux. Au fond d'elle-même, elle cherche la force morale qui pourrait l'aider à se sortir de ce cauchemar.

Garçon – Tu ne devrais pas dormir comme ça, tu vas attraper froid.

C'est un enfant d'une dizaine d'années, jouant avec un ballon, venu spontanément vers elle pour lui parler. Il s'amuse d'avoir pu prononcer ces paroles en de telles circonstances. Des mots précis qui ne fait qu'accroître l'inquiétude de Madoka. Cet enfant semble également en savoir sur elle.

G – ça va Madoka ?
M – ça pourrait aller mieux.

Il s'assoit à sa droite, tout honoré de se retrouver juste à côté d'elle.

G – Je suis content que tu sois là.
M – Pourquoi ?
G – Pour pouvoir faire connaissance et se parler.
M
(toujours méfiante) – Toi aussi tu voudrais me poser des questions, à moins que ce soit le Suiveur ou l'Assistant qui t'envoient me les poser.
G – Non, personne ne m'a rien demandé du tout. Ça me fait juste plaisir de pouvoir discuter avec toi. Je sais que tu n'es pas aussi méchante que certains le disent.
M – Méchante ?
G – Ceux de ton lycée qui ne veulent pas te parler et qui s'imaginent des tas de trucs faux sur toi. Moi je sais que tu es une fille bien qui a toujours tout fait ce qui fallait pour ses amis.

Madoka lui sourit mais redevient perplexe lorsqu'il poursuit.

G – Enfin… sauf la fois où tu as embrassé Hayami.
M – Quoi ? Qu'est qui te fait dire que j'ai pu faire ça ?
G
(prenant un ton plus grave) – Je t'ai vu… et Kyôsuke aussi.
M – Ecoute, je peux t'assurer que tu te trompes.
G
(incrédule) – "Tu te trompes" , tu avais dit la même chose à Hikaru lorsqu'elle soupçonnait Kyôsuke de s'intéresser à une autre.
M – Comment peux tu savoir tout ça ?… je veux dire comment les gens d'ici en savent autant sur moi ?
G – Ils ont vu les archives. Tout le monde a le droit de les consulter. C'est elles qui nous permettent de te connaître, toi et les autres. Même si elles ne nous en disent pas autant qu'on le voudrait. C'est d'ailleurs pour cela que l'on amène des personnes ici, pour les compléter.
M – Tu veux dire qu'ils accumulent des informations sur la vie privée de tout le monde ?
G – Non, seulement ceux qui vivent des choses intéressantes, comme toi.
M – Où peut-on les voir, ces archives ?
G – Traverse le parc et va dans le bâtiment de l'autre côté de la rue.

Madoka s'y rend aussitôt. Elle franchit une porte donnant accès à une sorte de bureau administratif. Elle repère le panneau indiquant les archives et en suit les flèches. Elle ouvre une deuxième porte et se retrouve dans une salle au style résolument plus moderne avec une dominante de formes arrondies. Au centre, un homme en costume travaille sur son bureau, un morceau de bois posé indique sa fonction : secrétaire. Il repère l'arrivée de Madoka et l'accueille.

Secrétaire – Bonjour Madoka, que puis-je pour vous ?
M – Est-il possible de consulter certaines archives ?
S – Avez-vous l'autorisation du Suiveur ?
M – Est-ce obligatoire ?
S – C'est une demande inhabituelle, seul le Suiveur a le pouvoir de l'accepter ou pas.
M – Laissez-moi le voir pour lui demander.
S – Il n'a pas besoin de vous voir pour cela. Attendons simplement sa réponse.

Au bout de quelques secondes de silence, le téléphone posé sur le bureau du secrétaire sonne. Il s’empare de l’écouteur et suit les instructions.

S (à son interlocuteur) – Entendu. (s'adressant à Madoka) Le Suiveur est d'accord, vous pouvez consulter tout ce que vous voudrez. Passez dans la salle derrière la porte bleue.
M – Le Suiveur espionne-t-il toujours ce qui se passe dans cette pièce ?
S – Son rôle est d'être au courant de tout, et surtout des choses vous concernant en ce moment. Que voulez-vous consulter ? Vos propres archives ? Celles de Kyôsuke, peut-être ?
M – Les miennes, s’il vous plaît.

Madoka avait repéré les trois autres portes en plus de celle par laquelle elle est entrée. Toutes les quatre ont une couleur différente et sont disposées en une croix dont le bureau est le centre. Elle entre dans la pièce indiquée. D'abord sombre, elle s'éclaire peu à peu avec la mise en route d'une douzaine d'écrans projetant des morceaux de sa vie. Les jours où elle a rencontré Kyôsuke dans les escaliers ; où ils travaillaient ensemble à l'Abcb ; où, ivre, il avait tenté de l'embrasser ; où elle l'avait vu frapper à la vitre de l'église ; où ils se couraient après dans l'île déserte ; où ils étaient dans le parc avec Kazuya ; où ils s'enfuyaient à bord d'un trolley. Madoka est totalement figée. Depuis le début, sans s'en douter, elle et ses proches avaient été la cible d'une surveillance totale. Elle n'arrive ni à comprendre les raisons, ni les moyens qui ont permis une telle chose. Depuis son bureau, la voix du secrétaire se fait entendre par un interphone :

S – Nous avons sélectionné, pour l'instant, quelques extraits vous concernant directement avec Kyôsuke, mais vous pouvez en choisir d'autres ou en regarder un de plus près. Pour cela, utilisez vos mains sur les écrans tactiles.

Madoka comprend rapidement le maniement du système. Un doigt posé sur la droite de l'écran permet de faire défiler plus ou moins rapidement les images, le côté gauche pour revenir en arrière. Un mode de lecture à l'occidental auquel elle doit s'habituer. Madoka se tourne de plus en plus vers des extraits où elle n'apparaît pas et entrevoir des événements qu'elle ignorait. Elle peut ainsi voir ce qui s'est passé le jour où Kyôsuke s'était retrouvé bloqué en montagne dans une cabane avec Kumiko pendant un orage. Elle remarque qu'une partie des images n'est pas disponibles et ne peut donc pas savoir exactement tout ce qui s'est passé et/ou pas passé.

M (s'adressant au secrétaire) – Pourquoi manque-t-il certains passages ?
S – Nous ne possédons pas toutes les images.
M – Le Suiveur les possède-t-il ?
S – A ma connaissance, il ne dispose pas de plus d'archives que nous, peut-être juste de plus d'informations. Que recherchez-vous précisément ?
M – Rien qui vous regarde.
S – Allons Madoka, il est normal de s'intéresser à ce que font les autres. N'ayez pas honte de satisfaire votre curiosité. Peut-être que Kyôsuke aimerait savoir que vous vous préoccupez de ce qu'il a pu faire.
M – Je doute fort que Kyôsuke apprécierait de découvrir l'existence de tout ceci.

Malgré cela, Madoka ne peut s'empêcher de continuer à faire défiler les images. Elle s'attarde sur le jour où elle avait rejoint Kyôsuke sur l'appontement de bois pendant que les autres garçons n'avaient d'yeux que pour le nouveau look de Hikaru. Puis elle revit cette fameuse après-midi avec Kazuya dans le parc, sa chute amortie par Kyôsuke et les mots glissés dans la rame du métro qui la refont rougir.

S – C'était magnifique ce que vous avez dit ce jour-là. Dommage que ça n'a pas pu se terminer comme vous le souhaitiez.

La remarque agit comme une étincelle et provoque l’exaspération de Madoka qui n'apprécie pas du tout son intervention. Comment des gens peuvent ils se permettre de surveiller et de commenter des instants secrets comme celui-là. Elle sort de la salle, s'approche du secrétaire et l'empoigne par le col.

M (d'un ton ferme) – Maintenant ça suffit ! Où est-il ?
S
(impressionné et bafouillant) – Qui ?... le Suiveur ?
M – Non, le capitaine Haddock !!!
S – Ecoutez, le Suiveur ne se rencontre pas comme ça, il est préférable d'attendre qu'il vienne vous voir et ainsi…

Madoka ne le laisse pas finir sa phrase et le relâche en le propulsant au sol. Elle se dirige et franchit la porte rouge qui fait face à la bleue. Elle avance dans un couloir à moitié éclairé d'une vingtaine de mètres pour déboucher… de l'autre côté de la porte bleue où l'attend le secrétaire qui se réinstalle sur sa chaise. Un moment sceptique mais toujours déterminée, elle choisit cette fois la jaune derrière celui-ci. Elle marche le long d'un même couloir pour revenir… à la première porte d'entrée et donc toujours dans la même pièce.

S – Et si vous vous calmiez maintenant ? Vous voyez bien que ça ne sert à rien.

Madoka continue sa démarche en repartant vers la jaune. Mais devant elle l'attend un vigile taillé comme une armoire. L'expression de son visage montre bien qu'il n'a pas l'intention de la laisser passer. Au moment où il cherche à agripper Madoka, elle attrape son poignet et le fait basculer par terre. Elle continue son chemin, mais arrivée à mi-chemin du couloir, fait demi-tour et court vers d’où elle venait. La nouvelle tactique ne change rien, c'est bien la même porte qu'elle trouve au bout. Dans la salle du secrétaire, elle doit désormais faire face à deux gardes. Elle réussit néanmoins à franchir la bleue et courir de l'autre côté pour immanquablement réapparaître par la rouge. Les sentinelles, maintenant au nombre de trois, entament alors une lutte pour la maîtriser. Ce qu'ils finissent par réussir. Le secrétaire s'approche de Madoka, se débattant encore, pour asperger son visage d'un gaz anesthésiant.

 

 

R R R R R

 

 

ACTE 3

Le lendemain matin, Madoka se ranime. Il fait déjà jour et sa première question ne tarde pas à trouver réponse : sa chambre est bien toujours celle du village. Elle doit se résigner pour une deuxième journée. Aujourd'hui, il n'y a rien qui l'incite à sortir de son lit et elle se laisse envahir par un sentiment de déprime annihilant toute volonté de quitter ses draps. Jusqu’au moment où sa main gauche rencontre une masse chaude. Elle se redresse rapidement et réalise que quelqu'un est en train de dormir juste à côté d'elle. Elle se penche vers l’intrus et l'identifie aussitôt.

M – Kasuga ! Kasuga ! Réveille-toi !
Kyôsuke
(marmonnant) – Mmm… Manami laisse-moi un peu, je dors.
M – Non, ce n’est pas ta sœur ! Et lève-toi je te dis !
K
(toujours pas vraiment réveillé) – Ayukawa ?… Arrête de me secouer comme ça ! (reprenant brusquement ses esprits) Ayukawa !! Que fais-tu chez moi ?!
M – Non, c'est toi qui es chez moi… enfin pas exactement. Habille-toi d’abord, je t’expliquerai ensuite.

Kyôsuke, toujours allongé, scrute cette pièce qui ressemble parfaitement à là où vit Madoka. Son regard s'arrête sur celle-ci dans sa tenue de nuit.

M – Arrête de me fixer comme ça et trouve-toi de quoi t’habiller !

Elle joint le geste à la parole en le poussant hors du lit avec ses deux talons. Comme il ignore où sont ses affaires, elle regarde dans l’armoire s’il y a quelque chose pour le dépanner. Elle constate alors, avec stupeur, que le meuble est parfaitement bien rangé avec ses effets d’un côté et ceux de son " co-locataire " de l’autre. La veille pourtant, l’armoire ne contenait que ses affaires personnelles telles qu’elle avait l’habitude de les caser. Madoka note même la présence de "son" chapeau de paille rouge dans les rangements côté Kyôsuke. Pareil dans la cuisine, salle de bain et salon où divers objets usuels appartenant à l'un ont trouvé leur place avec ceux de l'autre. Tout donne l’illusion d’un jeune couple venant d’aménager. Kyôsuke retrouve même son chat Jingoro dormant sur un fauteuil. Mais pour lui, la véritable surprise arrive lorsqu'il regarde par la fenêtre.

K – Mais qu’est ce que c’est que ça ?! Où sommes-nous !?
M – Dans un village isolé en Europe.
K – Quoi ?!?

Tous deux s’échangent sommairement quelques informations et font le point sur la situation. Madoka apprend notamment qu'elle n'a pas disparu de son monde. La veille, Kyôsuke et les autres ont bel et bien côtoyé une Madoka aussi vraie que d'habitude. Une invraisemblance que rien ne peut encore expliquer : ubiquité ? dédoublement ? immobilité temporelle ? La question demeure sans réponse. Après avoir retrouvé ses vêtements, Kyôsuke sort de la maison pour examiner les lieux. Contrairement à Madoka, il sait expliquer sa présence ici : le Pouvoir. Un ou plusieurs membres de sa famille a cru amusant de l’envoyer elle et lui dans ce cadre aussi magnifique que déroutant. Non seulement la plaisanterie n’est pas du tout de son goût mais elle risque surtout de révéler le secret familial à Madoka. Il reste néanmoins interrogatif sur ce déplacement miraculeux, aussi rapide (une nuit) et aussi chargé (quasiment tout l’aménagement intérieur d’une maison). Dehors, il est rejoint par Madoka qui a déjà passé le cap de la surprise. Pour tenter de se sortir de là avec l’aide du Pouvoir, il doit d’abord se séparer momentanément d’elle.

K – L’important pour l’instant est de savoir où nous sommes et de trouver quelqu’un pour nous aider. Descends vers le port là-bas pendant que moi je chercherai vers le bois, comme ça on…
M
(l’interrompant) – Je suis là depuis hier, j’ai déjà fait tout le tour de ce qu’il y a à voir et je sais qu’on ne pourra pas sortir d’ici aussi facilement ! Je ne pense donc pas que ce soit le moment de séparer !
K – Ecoute, fais-moi un peu confiance. Je suis sûr de pouvoir trouver une solution pour rentrer rapidement chez nous. D’accord ?
M – Bon, très bien… alors je descends, c’est ça ?
K – Voilà, rendez-vous ici dans une heure.

Kyôsuke attend d'être suffisamment éloigné pour tenter un appel télépathique avec son grand-père ou son cousin… sans succès. Il sent un étrange doute et teste son pouvoir de télékinésie sur un pot de fleur, mais rien ne se passe. C’est comme si ses dons héréditaires avaient complètement disparu. Il se concentre à nouveau sur l’objet sans voir que quelqu’un s’approche de lui.

Assistant – Votre Pouvoir ne marchera pas ici, Kyôsuke.
K – Quoi ? Qui êtes-vous ?
A – Je dis que votre Pouvoir ne peut pas fonctionner dans cet univers. Ici, les lois de la nature et de la physique son différentes. Ce genre de phénomène n’existe donc pas.

De son côté, Madoka décide d’aller se restaurer au lieu de se rendre inutilement au port. Sur le chemin rien n’a changé depuis la veille, des passants inconnus continuent de la saluer familièrement en l’appelant par son prénom. Plutôt que de les ignorer bêtement, elle se résoud à leur renvoyer leur salut avec la même politesse. Arrivée à la terrasse du café, la serveuse lui fait constater que les tables et chaises ont été mouillées par la pluie et lui demande de patienter le temps de les essuyer.

M – Ne vous donnez pas cette peine, je peux m'installer avec le monsieur au fond.

L'homme en question a prit place sur l'unique table épargnée par les intempéries. Il est brun, d'allure britannique et d'une quarantaine d'années. Il porte une veste sombre à liseré blanc.

M – Puis-je ?
Homme à la veste – Je vous en prie.
M – C'est l'unique endroit sec, je ne voulais pas donner du travail à la serveuse.
H à V – Vous avez bien fait. Vous êtes nouvelle ? Je ne me souviens pas vous avoir déjà vu.
M – Effectivement, mon arrivée est récente. Mais il est rare que quelqu'un ne m'ait "jamais" vu ici.
H à V – Si vous faites allusion aux archives, sachez que j'ai mieux à faire que de les regarder.
M – Comme quoi ?
H à V – Trouver un moyen de partir, par exemple.
M – Vous êtes prisonnier vous aussi ?
H à V – Tenez, voici mon thé. Vous le partagerez bien avec moi mademoiselle… mademoiselle ?…
M – Ayukawa Madoka, mais tout le monde ici a pris l'initiative de m'appeler directement Madoka. Je ne vous en voudrai pas si vous en faites de même.
(à la serveuse) Une autre tasse s'il vous plaît. (à l'homme) Et vous ?
H à V – Smith… Peter Smith.
M
(après le départ de la serveuse) – Vous parliez d'évasion n'est ce pas ?
Peter Smith – Et vous d'archives.
M – Sérieusement ! S'il y a un moyen de quitter cet endroit je peux sûrement vous être utile ! J'ai même été amenée ici avec un ami.
PS – Si j'avais déjà un plan, je ne vous aurais pas attendu.
M – Hier, quelqu'un a peut-être réussi.
PS – Non, il a échoué. Pour une raison que j'ignore, nous ne pouvons pas survivre au-delà des limites du village. Lui a cru que c'était une question de gaz paralysant et a tenté de s'en protéger avec cette bulle, mais il a perdu connaissance comme les autres. Et puis, il aurait été ironique qu’il puisse fuir par un moyen d’évasion inspiré de ce qui, avant, nous empêchait de partir.
M – Savez-vous exactement où nous sommes ?
PS – Exactement : non, approximativement : peut-être. De toute façon ; une localisation ne résoud rien au problème de la survie au-delà du village. Ceux qui le dirigent sont les seuls à en posséder le moyen de nous en éloigner, d’où la nécessité de l’obtenir.
M – En leur disant ce qu'ils veulent savoir ?
PS – Justement non, et je parie que vous avez déjà songé à le faire.
M – Possible.
PS – Et je parie aussi que, quelque part, ils connaissent déjà la réponse à la première question qu'ils vous ont posée.
M – Possible aussi.
PS – Parler est la meilleure façon d'attiser leur curiosité et de les inciter à en savoir d'avantage. D'un autre côté, ils ne vous laisseront jamais partir non plus si vous ne leur dites rien. Dans les deux cas, vous en restez au même point : au village.
M – Pourtant, je n'ai aucun secret à révéler. Il n'y a rien de particulier dans ma vie qui peut les concerner.
PS – Ce n'est pas à moi qu'il faut dire cela.

De son côté, Kyôsuke suit l'Assistant dans un bâtiment surmonté d'un dôme vert. Ils terminent une discussion proche de celle qu'il y a eue entre ce dernier et Madoka la veille au matin. La discussion interrogative, énigmatique et rituelle de chacun des arrivants au village. Kyôsuke se retrouve dans une grande pièce au style à la fois tribunal et amphithéâtre universitaire où l'attend un siège. Il est confié par l'Assistant à celui qui s'avère présider les lieux assis sur une sorte de perchoir. Les bancs sont occupés par ce qu'il semble être des étudiants. Après la sortie de l'Assistant, l'homme juché se présente comme étant le professeur et commence son cours.

Professeur – Nous allons nous intéresser aujourd'hui au cas Kasuga Kyôsuke. Comme vous le savez, il se retrouve actuellement tiraillé entre deux jeunes filles de son lycée aux personnalités plutôt opposées bien qu'étant très amies. Son côté indécis et le mystère qui entoure l'une d'entre elle ne lui permettent pas de gérer cette situation comme il le voudrait. L'action nécessite l'information or l'inaction empêche l'information. De plus, le temps ne joue pas réellement en sa faveur puisque…
K – Attendez ! Qu'est-ce qui vous prend de vous mêler de mes affaires !

Dans les rangs, une jeune fille d'une vingtaine d'années demande la parole. Le professeur la lui donne puis la nomme procureur de la séance (ps).

Procureur – Il est trop facile d'attribuer son attitude à son indécision. Bien que nous sachions vers qui se tournent ses sentiments, il apparaît qu'il ne sait pas refuser ceux de l'autre. Il n'a pas dû avoir par le passé d'amie comme Hiyama Hikaru, lui témoignant une telle passion. Aussi, quel intérêt à refuser ce qu'il ne peut pas obtenir de Ayukawa Madoka ?
K
(se lève et vocifère) – Je ne veux plus rien entendre de plus ! Vous continuerez sans moi !

Kyôsuke ne va pas bien loin. Il est sommé de se rasseoir par deux vigiles. Sans son Pouvoir, impossible de faire autrement que d'obtempérer. La séance se poursuit avec un jeune homme qui prend le rôle de l'avocat.

Avocat – Je trouve injuste la façon dont on décrit Kyôsuke. Sa situation est d'une grande complexité et ne peut être résolue aussi facilement. N'oublions pas qu'il en va de son avenir avec Madoka. On ne se sort pas ainsi du Kobayashi Maru.
K – C'est quoi ça ??
Av – Je vous expliquerai.
Ps – Oui mais c'est lui qui l'a créé !
Av – Avec Madoka… et Hikaru.

Madoka a quitté le café à la recherche de Kyôsuke. Mais devant chez elle, c'est l'Assistant qu'elle retrouve. Comme elle l'interroge sur la situation actuelle de son ami, il l'invite à le rejoindre dans le dôme vert. Au lieu de la mener dans l'amphithéâtre, il l'entraîne dans l'un des sous-sols via un ascenseur et un long couloir, pour déboucher dans une sorte de laboratoire. Aussitôt arrivés, l'Assistant est demandé par un homme en blouse blanche laissant Madoka explorer seule les lieux. Elle profite de cet instant d'isolement pour jeter un œil dans différentes pièces. Après avoir exploré derrière quelques portes sans rien trouver, elle entre dans un bureau où elle tombe sur un dossier à son nom. Dedans, une dizaine de pages font le descriptif de sa personnalité, un profil psychologique et quelques détails sur son passé. C'est avec un certain trouble qu'elle en fait une lecture rapide : belle… intelligente... indépendante… méfiante… secrète… aptitude au combat… séparée souvent de ses parents… mauvaises fréquentations… mauvaise réputation… Hikaru… Kyôsuke… amoureuse ?… évolution ?… sacrifice ?… passivité… calculatrice. Madoka n'a pas le temps d'aller jusqu'au bout qu'une femme entre et la surprend.

Femme – Hé ! Vous n'avez pas le droit de lire cela ! (la reconnaissant) Ah, c'est vous !? Je ne savais pas que vous deviez être là.
A
(revenu) – Vous voici enfin, suivez-moi, Madoka.
M – Je croyais que l'on devait aller voir Kyôsuke.
A – En fait c'est une autre personne que j'aimerais vous faire rencontrer.

Madoka entre dans une pièce sombre et étroite avec de larges surfaces vitrées qui permettent d'observer ce qui se passe dans la salle d'opération voisine. Au milieu de celle-ci, est disposés un ensemble médical, d'impressionnants systèmes électroniques, des ordinateurs, un grand écran et une patiente allongée bardée d'électrodes.

M – Hikaru ! Qu'est ce que vous lui faites ?!
A – Rassurez-vous, elle va très bien. Nous ne lui voulons aucun mal.
M – Qu'est ce que c'est que tout ça ?!
A – ça ? C'est la préparation de votre avenir.

Plus concrètement, on explique à Madoka l'expérience qui va être réalisée. Hikaru est plongée dans un sommeil artificiel proche du naturel. Les électrodes captent les impulsions électriques du cerveau, les ordinateurs les assemblent et font ainsi apparaître les images rêvées par le sujet. Sur l'écran se succèdent rapidement des scènes de la vie quotidienne de Hikaru : Kyôsuke et elle, Madoka et elle, les trois ensembles et d'autres personnes. Son rêve n'est composé que de moments heureux passés ou futurs, réels ou imaginaires. Le cœur de Madoka se serre en voyant que Hikaru s'imagine parfois en bonne épouse et mère de famille auprès de Kyôsuke et toujours auprès de sa "grande sœur" restée célibataire. Les techniciens ont la possibilité d'intervenir dans son rêve. Le but est de la confronter à certaines situations afin d'en d'étudier ses réactions. Madoka, impuissante, ne peut qu'acquiescer ce qui va être tenté. Le scénario consiste à ce que Hikaru découvre par hasard que sa meilleure amie aime le même garçon qu'elle. Les techniciens commencent par introduire le décor : la maison de Madoka. Tout ce que l'on voit et entend actuellement provient uniquement de l'esprit de la patiente, donc dans une réalité qui est la sienne. Pour la mettre face à une Madoka qui n'est pas totalement celle qu'elle croit, une femme munie d'un micro interviendra pour lui faire prononcer les phrases qu'il faut. L'Assistant savait que la vraie Madoka n'aurait jamais accepté de jouer son rôle et a préféré faire appel à une comédienne qui n'est autre que la dame qui l'avait surprise son dossier à la main. Les images défilent maintenant en perspective transmettant ce que perçoivent les yeux d'Hikaru. Le visage de celle-ci paraît lorsqu'elle croise un miroir. Elle marche seule et arrive dans la chambre inoccupée de son amie. Après une brève inspection, elle tombe sur un objet placé artificiellement en évidence dans le rêve. Il s'agit d'une photo de Madoka et Kyôsuke se tenant par la main. Une photo prise par le père de ce dernier le jour où tout le groupe s'était retrouvé au bord de la mer pour une séance photographique qui au départ ne devait concerner que Hikaru. Celle-ci ignorait l'existence de ce cliché. De l'autre côté de l'écran, Madoka remarque que le support cadre n'est pas le même que dans la réalité. Celui-ci possède quatre petits cœurs disposés au quatre coins, accentuant l'interprétation que l'on peut en faire. Le corps de Hikaru allongé commence à manifester quelques réactions d'anxiété qui traduisent l'effet que produit ce rêve aménagé. Madoka est insérée dans la mise en scène et se voit alors au centre de l'image, donc face à Hikaru. La conversation virtuelle s'engage. La comédienne donne la réplique. Madoka s'étonne que l'on ait choisi une femme qui lui ressemble aussi peu : deux fois plus âgée, des cheveux plus courts et une corpulence supérieure à la sienne.

Hikaru du rêve – D'où vient cette photo ?
Madoka du rêve – C'est Kyôsuke qui me l'a donné.
H d R
(voix tremblantes) – Cela voudrait donc dire que…
M d R – Maintenant je ne peux plus te le cacher, tu n'es pas la seule à être amoureuse de lui.
H d R – Pourquoi ne m'as tu jamais rien dit ?
M d R
– Qu'aurais-je dû te dire ? Que je l'ai remarqué avant toi ? Que je n'ai jamais souhaité qu'un telle chose nous arrive ? Comment expliquer à sa meilleure amie qu'elle est devenue une rivale ?
H d R – Est-ce qu'il le sait ?
M d R
Ce qu'il ne sait pas, c'est comment te faire comprendre la vérité.
H d R – Et tu m'as laissée aller vers lui… sans rien faire.
M d R – Je l'ai fait pour te protéger.
H d R – Me protéger ? En me mentant !
(regardant la photo) Moi, il ne m'a jamais offert quelque chose comme ça. Maintenant je comprends son attitude vis-à-vis de moi… et la tienne vis-à-vis de lui, tout cela pour me cacher la vérité. Pourquoi m'as-tu laissé te faire souffrir tout ce temps ?
M d R – Au début, j'aurais culpabilisé si j'avais fait la moindre chose qui aurait gâché tes chances avec lui. J'ai compris trop tard que je faisais fausse route.

Sur le brancard, les tremblements nerveux de Hikaru s'intensifient, laissant deviner son tourment d'apprendre ce qu'elle ne pourra jamais vivre avec Kyôsuke et ce qu'elle a fait vivre à Madoka. Puis les images montrent qu'elle court hors de la maison pour déboucher dans la rue au moment où une voiture roule vers elle. Le choc se matérialise par le noir à l'écran et son évanouissement dans la réalité. Les techniciens expliquent que c'est l'esprit d'Hikaru qui a créé ce dénouement tragique. L'expérience s'achève donc sur un échec. L'Assistant demande la préparation de la simulation suivante. En entendant cela, Madoka perd son calme et saisit le cou de celui-ci. Elle se place derrière lui en serrant sa carotide avec son avant-bras.

A (voix étouffée) – Lâchez-moi Madoka ! Ce n'est pas comme ça que vous aiderez votre amie.
M
(serrant plus fort) – Arrêter ça tout de suite ou je n'hésiterai pas !

Les trois vigiles auxquels elle avait eu affaire chez le secrétaire débarquent et l'entourent. Madoka relâche la pression voyant que son action ne débouchera sur rien. L'Assistant en profite aussitôt pour se délivrer et récupérer son souffle.

A – Je ne vous pensais pas aussi impulsive.
M – Ni vous aussi sadique.
A – Ecoutez, je peux vous assurer que Hikaru ne risque rien. Ce système est utilisé depuis plus de vingt ans et il n'y a jamais eu de problème. Croyez bien que je ne ferais rien s'il y avait le moindre risque pour elle. Cette solution est préférable que de tenter directement une stratégie dans la réalité. Vous avez pu voir quels en sont les risques.
M
(menaçante) – S'il arrive quoi que ce soit à Hikaru, je vous jure qu'aucun de vos gorilles ne pourra vous sauver.

Sur ces dernières paroles, Madoka sort seule du laboratoire, reprend le couloir, l'ascenseur et quitte le dôme vert.

 

 

I I I I I

 

 

Acte 4

Madoka rejoint Kyôsuke devant chez elle. Cela fait plus d'une heure qu'ils se sont séparés. Tous deux racontent brièvement ce qu'ils viennent de vivre, mais évitent de s'attarder sur la plupart des détails les concernant de trop près. La discussion se poursuit dans un endroit découvert par Kyôsuke à la sortie de son "procès". Il la fait passer à travers des bosquets pour arriver dans un vaste jardin aménagé où, sur une pelouse parfaitement entretenue, se dresse un ensemble de bustes sculptés dans de la pierre blanche. Dans un style antique, ils sont disposés de part et d'autre d'une longue allée, jamais face à face, créant ainsi une sorte de hiérarchie évoluant en zigzag. Madoka observe avec Kyôsuke cette étrange galerie de personnages où la majorité de ces visages leurs sont inconnus, et où les autres vont du vaguement commun au très familier. Le choc se produit lorsqu'ils découvrent les traits de celui placé à la tête de la communauté : Madoka en personne ! Kyôsuke, plus habitué à affronter l'extraordinaire et l'inexplicable, commence à comprendre la réalité dans laquelle ils sont en train d'évoluer et tente d'aider son amie à l'affronter.

M – Impossible ! Je ne peux pas être l'un d'eux ?!
K – Si, tu l'es. Et moi aussi, même si je n'ai pas ma place dans ce champ d'honneur. Après ce que j'ai entendu sur moi tout à l'heure, je ne dois pas la mériter.
M – Mais les gens représentés ici n'existent pas, ils sont imaginaires.

Soudain un bruit grinçant se fait entendre. Les statues sont capables de se mouvoir et deux d'entre elles échangent leurs positions respectives, modifiant ainsi l'ordre hiérarchique des personnages. Le mouvement a totalement détourné l'attention de Madoka et Kyôsuke qui n'ont pas aperçu, au même moment, l'arrivée d'un homme au crâne chauve, d'allure robuste et équipé pour l'entretien des espaces verts. Il est visiblement le jardinier responsable des lieux.

Jardinier – Tu n'as pas toujours été à la première place, Madoka. C'est ta présence au village qui t'a permis de te hisser sur la plus haute marche.
M – Qu'est ce que je dois en conclure ? Que je suis, moi aussi, un personnage de fiction ?
K
(terminant son explication) – Dans cet univers, nous n'existons pas véritablement. Les gens nous perçoivent à travers une mise en scène que nous nous vivons comme étant notre réalité. Mais dans notre univers, nous sommes aussi réels qu'ils le sont ici.
J – Le Suiveur a le pouvoir de rassembler des éléments et des individus des deux mondes, et même de plusieurs mondes.
M – Pourquoi le Suiveur s'intéresse-t-il à nous ?
J – Votre vie lui permet d'oublier partiellement la sienne. Vous connaître l'aide aussi à mieux se connaître, à mieux connaître ceux qui l'entourent et à mieux affronter son destin.

Un autre mouvement de statues s'opère. Cette fois, c'est un nouveau protagoniste sculpté qui surgit des buissons et prend une place au milieu des autres. Faisant décaler un par un ceux qui étaient derrière lui. Quant au dernier, il quitte ses semblables pour disparaître rapidement dans la nature. Kyôsuke se demande alors si celui-ci pourrait être en train de retrouver son véritable monde. Il s'adresse au jardinier.

K – Comment se déplacent les statues ?
J – Les statues ?
K – Oui, les statues ! Qui décide de leur position ? le Suiveur ?
J – Le Suiveur ? euh… oui oui le Suiveur, c'est lui qui… les déplace, enfin… euh… pas tout seul.

Brusquement, le comportement du jardinier s'est changé. Il semble complètement perdu et frappé d'une soudaine amnésie qu'il tente difficilement de dissimuler. Kyôsuke fait signe à Madoka pour s'éloigner innocemment de lui d'une vingtaine de mètres et converser tout bas.

M – Qu'est ce qui lui arrive tout d'un coup ?
K – Je ne sais pas, c'est comme si quelque chose ou quelqu'un l'empêchait de nous parler.
M – Kyôsuke, je n'arrive pas à croire à tout ça, cette idée de provenir d'un monde fictif.
K – Pour moi, tu existes ! Et je te promets que Hikaru, toi et moi reviendrons dans notre univers où tu verras qu'il n'a rien de fictif.
M – Comment faire ? Un des bustes proche du mien représente l'homme du café qui semble être au village depuis assez longtemps. Moi qui suis à la plus haute marche, je ne suis donc pas prête de repartir. D'autant plus qu'il m'a expliqué également que le Suiveur me gardera aussi longtemps qu'il le voudra, peu importe que je collabore ou pas.
K – Que veut-il de toi ?
M
(hésite avant de répondre) – Il veut savoir ce que je ressens exactement pour toi et ce que je compte faire pour Hikaru. Si je ne parle pas, sa curiosité ne sera pas satisfaite. Et si je parle, elle sera accentuée. Dans tous les cas, je suis bloquée. Mais toi, tu peux peut-être partir, et Hikaru aussi.
K – Le Kobayashi Maru !!
M – Qui ça ?!
K – Mon "avocat" m'en a parlé. C'est un problème où toutes les solutions pour le résoudre sont vouées à l'échec. Le seul moyen de réussir est de redéfinir les données du problème.
M – Et comment tu comptes faire ça ?
K – Je pense qu'il faut faire en sorte que…

Kyôsuke s'interrompt en voyant que les choses ne s'arrangent pas du côté du jardinier. A présent, il gesticule et semble en pleine conversation avec l'une des statues, lui demandant notamment ce pourquoi il est ici. Madoka non plus ne peut s'empêcher de regarder consternée cet homme qui, quelques minutes avant, paraissait avoir toute sa tête. Au bout d'un moment, l'homme stoppe subitement sa "discussion" en réalisant que les deux adolescents le fixent avec des yeux éberlués. Il sourit bêtement pour sauver les apparences et faire croire à une sorte de numéro comique plutôt qu'à un réel état de folie. Aussitôt après ils choisissent de le laisser seul et de quitter son jardin. Dans l'après-midi, Madoka est dans sa maison du village où elle sort de la douche entourée d'une serviette. En revenant dans sa chambre, elle sursaute en voyant qu'elle y est attendue par l'Assistant.

M – Qu'est ce que vous faites ici ?
A – Je suis venu vous voir.
M - Me voir ou me "regarder" ?
A – Non, ce n'est pas du tout ce que vous pensez. Et puis, s'il le faut, pour "ça"… nous avons les archives.

Madoka doit vraiment se retenir pour ne pas lui envoyer sa main à la figure. L'Assistant comprend tout de même qu'il ferait mieux de l'attendre dans le salon. Une fois habillée, elle le retrouve sur le canapé à côté de Jingoro endormi.

A – C'est amusant, chez lui il profitait de la moindre occasion pour s'échapper et ici il reste tranquille. C'est le seul d'entre vous à se sentir bien au village.
M – Si je vous dis ce que vous voulez, laisserez-vous repartir Hikaru ?
A – Je vous l'ai assuré : si vous répondez aux questions du Suiveur, vous pourrez tous rentrer chez vous.
M – D'accord, à condition que ce soit moi qui dévoile toute la vérité à Hikaru.
A – ça me va. Rendez-vous dans quelques minutes sur la place. Elle viendra vous y rejoindre et vous serez seule à lui parler.

L'Assistant sort de la maison. Madoka finit de se couvrir et se dirige vers la place. Dehors, les passants ne se contentent plus uniquement de la saluer, ils la félicitent également pour la décision qu'elle vient de prendre et l'encouragent dans cette difficile confession. Visiblement, les villageois ont été mis au courant en condition directe de son récent engagement. Au bout de cinq minutes, Hikaru, consciente, surgit du dôme vert. Comme pour les deux autres avant, elle vit présentement l'angoisse traditionnelle de la découverte du village. Elle marche sans trop savoir où aller avant d'entendre la voix de son amie qui crie son prénom. En se dirigeant vers elle, elle croise des inconnus qui la reconnaissent et lui lancent des paroles dont elle ne comprend pas le sens. Sans préciser de quoi il s'agit, on lui demande d'être courageuse, d'être forte, d'accepter la vérité, que beaucoup de gens l'aiment, notamment Yûsaku. Puis elle retrouve enfin Madoka qui la serre dans ses bras.

Hikaru – Où sommes nous, Madoka ? Et qui sont ces gens ?
Madoka – Je t'expliquerai. Pour l'instant, allons dans un lieu plus tranquille.

Elle l'emmène en haut de la tour pour s'isoler de la foule qui commence à se regrouper sur la place. En haut, elle passe rapidement sur les questions que se pose la nouvelle venue, pour faire ce que le Suiveur attend d'elle. Des micros discrètement placés permettent à tout le village de suivre la conversation.

H – Où est Kyôsuke ?
M – Tu le reverras bientôt. C'est aussi pour lui que nous avons été emmenées ici.
H – Pour y faire quoi ?
M – C'est pour que tu saches la vérité sur ce qui se passe entre lui et moi.
H – De quoi parles tu ?
M
(elle prend une grande respiration) – J'aime Kasuga, je l'aime plus que tu ne pourras jamais l'aimer et je sais que c'est vers moi que se portent ses sentiments, ce qu'il ressent pour toi n'est que de l'amitié.
H
(ses yeux se mouillent) – Madoka, non… ! Ce… ce n'est pas possible !?
M – Pardonne-moi Hikaru.
H – Que je te pardonne !? Après ce que tu viens de me dire !?
M – Non… que tu me pardonnes pour ça…

A ce moment, Madoka saisit le bras de Hikaru pour la projeter en dehors de la tour. Son bref cri de terreur résonne dans le village, puis s'interrompt au moment où son corps frappe mortellement le béton au pied de l'édifice. Tous les villageois regroupés sur la place ont assisté impuissants et consternés à ce geste criminel et à cette descente chute tragique. La stupéfaction passée, leurs regards accusateurs renvoient tout le dégoût et toute l'indignation qu'ils ressentent sur une Madoka qui essaye de rester impassible. Elle perd néanmoins une part de sa placidité en apercevant Yûsaku au milieu de la foule. A peine arrivé dans cet antre inconnu, il vient d'être confronté au pire des spectacles : voir la fille aimée, tuée par sa meilleure amie ! Madoka ferme les yeux et repense à la discussion qu'elle avait eu ce matin avec Kyôsuke. C'était juste après avoir quitté le jardin aux statues.

K – Le Suiveur te considère comme une idole, quelqu'un qui véhicule des valeurs positives. Il faut changer cela pour qu'il se force à t'oublier et à nous renvoyer tous chez nous.
M – Il faut que je change mon attitude ?
K – Il faut le choquer par un acte qui ne te ressemble pas, quelque chose de fort.
M – Mais quoi ? Je ne peux tout de même pas laisser mourir Hikaru !?
K – Mieux que ça… la tuer.
M – Mais tu es fou ! Qu'est ce que tu racontes !?
K – En fait, elle ne mourra que dans ce monde. Je te rappelle qu'hier il y avait bien une Madoka qui vivait dans notre univers. Tout comme il doit y avoir actuellement une Hikaru et un Kyôsuke. Nous sommes toujours restés présents là-bas malgré notre existence ici. Cette Hikaru continuera à vivre et c'est elle que nous verrons à notre retour, celle que nous avons toujours connue.
M – Je ne sais pas. Et si tu faisais erreur ?
K – Je suis sûr d'avoir raison et je ne pense pas que nous ayons beaucoup le choix.
M – Je préfère passer toute ma vie dans cet endroit plutôt que d'être responsable de sa mort.
K
(la tenant par les épaules) – Nous ne pouvons pas rester ici ! Tu veux finir tes jours enfermée dans ce petit périmètre ? Tu veux passer ton temps à répondre aux questions que l'on te pose ? Tu veux finir comme ce pauvre jardinier à discuter avec une statue que tu auras baptisée "AL" ?
M
(se rangeant à son opinion) – Très bien, si tu y crois, je te fais confiance. (retrouvant son sourire) Je ne sais pas comment tu fais pour être si convaincant ?
K – Je sais que ça va marcher !
M – Il est alors possible que nous perdions tout souvenir de ce qui ce sera passé ici. Il faudrait un code ou un mot de passe pour se convaincre, à notre retour, que tout cela n'a pas été qu'un rêve.
K – Oui, tu as raison.
(après une brève réflexion) Je sais : "Diversité Infinie de Combinaisons Infinies".
M – Qu'est ce que ça veut dire ?
K – C'était écrit sur le socle d'une des statues.

Madoka revient dans le présent où elle fixe froidement la foule qui continue à gronder contre elle. Elle s'adresse à eux.

M – Maintenant le Triangle est résolu. Hikaru n'est plus un obstacle entre Kyôsuke et moi.
Un villageois – Je ne crois pas que Kyôsuke continuera à aimer une fille comme toi !
K
(qui vient d'arriver) – Madoka à raison, le Triangle n'est plus qu'un mauvais souvenir. L'avenir nous appartient désormais.

Deuxième choc pour le village, tout le monde comprend que celui-ci était, depuis le début, le complice de Madoka dans cette terrible initiative. L'Assistant surgit et se fraye un passage jusqu'au corps de Hikaru. Après s'être penché un instant dessus, il exprime la même colère et indignation que ses concitoyens. Ses mots sont emplis de rage.

A – Madoka, Kyôsuke, vous n'avez plus rien à faire parmi nous !

Aussitôt, une lumière blanche les aveugle tous les deux et leur fait perdre connaissance. Madoka reprend conscience dans son lit. La lumière, le bruit de la circulation, tout ressemble à… sa vraie maison. Une impression confirmée en regardant par la fenêtre. Elle éprouve un grand sentiment de délivrance mêlé à une certaine angoisse. Son réveil lui indique que nous sommes dimanche et qu'il est encore tôt. Peu importe, elle prend son téléphone pour appeler chez les Hiyama.

M – Hikaru ?
H – Tiens salut Madoka ! Pourquoi m'appelles-tu à cette heure ?
M
(retenant son émotion) – Non, non, pour rien, juste pour savoir si tu allais bien.
H – Bien sûr que je vais bien. Mais je me trompe ou on dirait que tu pleures.
M – ça ira. On se voit tout à l'heure à l'Abcb.

De son côté, Kyôsuke a eu la même heureuse surprise de retrouver son appartement et sa famille, ainsi que son chat. Le raisonnement eu au village s'avère être le bon, aux yeux de Manami, Kurumi et son père, il n'a jamais disparu de la journée d'hier. Plus tard, il se rend à l'Abcb où il est accueilli par Master et Madoka déjà au travail.

Master – Tiens, vous êtes matinal monsieur Kasuga, tombé du lit ?
K – Non, juste envie de me lever tôt aujourd'hui. En plus, je ne sais même pas combien de temps a duré ma nuit.
Master
(subtilement) – C'est marrant, quelqu'un m'a presque raconté la même chose en arrivant…
M – C'est juste une question de hasard, n'allez pas imaginer n'importe quoi.
K – Oui vous savez, après tout, les mots c'est juste une diversité infinie….
M – … de combinaison infinie.

Kyôsuke et Madoka se lancent un regard complice. Un regard qui n'échappe pas à Master sans qu'il puisse se douter véritablement de ce qu'ils viennent de vivre. Quelques minutes plus tard, celui-ci les laisse seuls en s'absentant le temps d'aller faire une course.

M – J'ai appelé Hikaru, elle va bien et n'a aucun souvenir de rien.
K – Je sais, je lui ai téléphoné aussi, sûrement juste après toi. Elle a dû nous croire fous.
M – L'important est que tout soit fini.
K – Je l'espère…
M – Je me demande comment les gens ont pu continuer à nous voir ici alors que nous étions là-bas, comment ils ont pu croire que c’était bien nous ?
K – Parce que c’était bien nous, d’une certaine manière. En tout cas, vendredi, je peux t’assurer que ni moi, ni personne n’avons remarqué la moindre anomalie chez toi : froide et mal lunée comme de coutume.
M – Alors, j’imagine que samedi, on a eu au droit au Kyôsuke habituel qui ne sait pas dire non à la première fille qui lui fait un joli sourire.
K – On croirait entendre mon procureur.
M
(redevenant sérieuse) – Tu crois qu'ils ont vraiment renoncé à nous ?

Derrière un écran de contrôle, l'Assistant suit toute cette discussion. Bien qu'il ne puisse être ni vu ni entendu, comme il l'a toujours été, il répond tout de même à la question de celle-ci.

A – Nous ne renoncerons jamais, Madoka. Nous continuerons jusqu'à la…

 

 

… FIN

JérômeActarus

Novembre 2002