Le mur de la révélation, Madoka s'enchaîne à Kyôsuke
  Par JérômeActarus

 

Acte 1

Kyôsuke fait les derniers pas pour atteindre le lycée. Ce matin là, comme très souvent, il est plutôt dans les derniers à arriver à l’établissement. Manami et Kurumi l’ont précédé de quelques minutes. Ce matin-là, plusieurs lycéens prêtent une attention particulière à sa présence. Ils le reconnaissent, le dévisagent et échangent quelques mots l’air grave. Kyôsuke a déjà vécu cette situation, elle fait ressortir un mauvais sentiment et de mauvais souvenirs. La dernière fois, c’était lorsque Kurumi avait pulvérisé le record mondial du 100 mètres. Le sachant son frère, on l'avait regardé comme un phénomène de foire. Quelques jours après, la famille déménagea. Aujourd'hui, l'histoire semble se répéter. Plus il avance, plus Kyôsuke réalise ce qui en train de se passer, on vient de découvrir le secret du Pouvoir. Autour de lui, des dizaines de filles et de garçons ne cachent même plus l’intérêt qu’ils portent sur lui. On peut entendre ici et là des "c’est lui ! c’est Kasuga !’’. S’approche de lui un visage connu. Komatsu aborde un grand sourire et lance :

- Ca y est, le voilà celui que tout le monde attendait ! Alors Kasuga, on a encore trouvé le moyen de faire parler de soi ?
- Ecoute, je ne sais pas ce qu’on t’a raconté, mais ça n’est sûrement que des âneries. Il y a plein de gens qui sont prêts à dire n’importe quoi pour se faire remarquer, répondit Kyôsuke pour tenter de sauver ce qui pourrait encore l'être.
- Bien sûr que je ne vais pas croire une telle chose, je suis quand même pas idiot à ce point-là, mais admets qu’il faut être gonflé pour lancer un truc pareil.
- Ah bon… ?! Tu crois que… enfin tu ne crois pas que…, balbutie Kyôsuke, étonné que son camarade de classe puisse faire preuve d’une aussi grande lucidité.
- Pour dire les choses franchement, c’est le genre de déclaration qui me donne surtout envie de rire.

Kyôsuke se demande alors si lui et Komatsu parlent de la même chose. La réponse lui apparaît au moment où il fixe l’un des murs du lycée. Le même mur que tous les lycéens scrutaient avec stupeur. Dessus, on pouvait lire en gros caractères, à une vingtaine de mètres du sol, de façon à n’échapper à personne : " AYUKAWA EST AMOUREUSE DE KASUGA ". Une inscription au tracé maladroit, anonyme, faite à la peinture noire en une nuit. Instantanément, tous les organes de Kyôsuke s'arrêtent, mis à part son cœur qui s'emballe et son estomac qui se serre.

- Eh les gars ? J'ai un truc génial à vous dire ! Une phrase prononcée par Hatta qui vient de rejoindre en courant les deux garçons.
- Ah ouais ? Plus génial que ça ? Lui répond Komatsu indiquant l'inscription et envoyant ainsi son ami dans le grand cercle des lycéens abasourdis.

Le carillon sonne annonçant le début des cours. Une autre personne fait à nouveau l’évènement dans la cour au moment où les lycéens se pressent vers leur classe respective. Madoka marche machinalement puis s'immobilise en apercevant l’inscription. Statufiée quelques secondes, elle baisse la tête et reprend sa marche vers la porte d’entrée. Elle fait celle qui ne manifeste pas plus d’importance qu’il ne le mérite à ce qui est écrit. Elle passe devant Kyôsuke et Seiji sans leur adresser le moindre regard alors qu’eux ne peuvent s’empêcher de la fixer et de la suivre dans son déplacement. Kyôsuke demeure toujours silencieux.

Dans la salle de la 3 A, au moment de faire l’appel, le professeur s’éclaircit la voix comme pour faire une annonce solennelle tout en cherchant à ne pas trop en rajouter :

- Kasuga et Ayukawa, vous êtes convoqués immédiatement au bureau du principal.

Chacun connaît les raisons de cette convocation, tout comme chacun sait qu’il ne pourra rien leur être reproché. Il est évident qu’aucun des deux ne pourrait être le coupable de cette affaire. Madoka et Kyôsuke se lèvent sans un mot et sortent de la salle. Dans le couloir, il met du temps à trouver quelque chose à exprimer :

- Ecoute, je m’excuse pour ce qui arrive.
- Tu n’as rien à excuser puisque tu n’as rien fait, lui répondit glacialement Madoka.

Dans son bureau, le principal se retrouve face à deux élèves directement concernés dans une histoire qui ébruite tout son établissement mais à laquelle ils sont les derniers à pouvoir être suspectés d’y avoir une responsabilité. Ils en sont plutôt les principales victimes. Que leur dire ? Après avoir longtemps cherché ses mots :

- Si je vous ai convoqués, ce n’est bien évidemment pas pour vous sanctionner de quoi que ce soit. Je ne vais pas non plus vous demander si ce qui est écrit est vrai car ce serait jouer le jeu de cette vipère. A cet instant, nous n’avons aucune idée de qui cela peut être. Et vous ? Connaissez-vous une personne qui aurait pu faire cela ?

- Non, répondirent-ils

- Dans ce cas, je vous recommande de ne pas envenimer l’affaire et faire en sorte qu’elle ne trouble plus l’ordre du lycée. Tout sera effacé dès demain.

C'est l'heure du déjeuner. Dans le couloir en sortant de la classe, Kyôsuke est accueilli par Hikaru qui lui attrape le bras pour l'inviter à manger ce qu'elle lui a préparé.

- Bonjour Kyôsuke, tu viens avec moi sur la terrasse ? Lui dit-elle de façon joviale puis adopte d'autres tons : (triste) Mon chéri, si tu savais comme moi aussi j'ai de la peine pour ce qui t'arrive et pour tout ce que les gens racontent autour de moi. (colérique) Si jamais je tiens celui qui a fait ça, je lui fais manger son pot de peinture et son pinceau ! (à nouveau joviale) Enfin, oublions tout ça et allons déguster ce panier-repas. Sache que comme toujours tu peux compter sur tout mon soutien et tout mon amour.
- Merci Hikaru, répond Kyôsuke, mais il ne faut pas trop non plus…
- Tiens, salut Madoka, lance Hikaru sans laisser son ami terminer ce qu'il cherchait à dire, toi aussi tu dois beaucoup souffrir de tout ça.
- T'inquiète pas pour moi, ce n'est pas cela qui va me gâcher ma journée. Cette attitude bête et méchante ne mérite même pas l'intérêt qu'on lui porte. Et puis Kasuga et moi n'avons pas besoin de ça pour régler nos affaires, répond Madoka qui décroche ici son premier sourire du jour.

En écoutant cela, Kyôsuke prend conscience que Madoka est la cible première du " corbeau " car ce sont ses émotions à elle qui sont visées par la phrase anonyme. Lui, bénéficie du moins mauvais rôle, celui dont il est déclaré qu'il est aimé et non pas le contraire. Quelques instants après cette courte discussion à trois, Kyôsuke se retrouve sur le toit du lycée avec Hikaru pour accomplir leur rituel quasi habituel où l’un se fait nourrir par l’autre, où l’ennui de l’un contraste avec la passion de l’autre. Une scène qui, comme souvent, n’échappe pas à Yûsaku Hino qui bout de rage de voir un autre que lui profiter de l’attention de la fille qu’il aime en secret. Yûsaku Hino, c’est la personne à laquelle Kyôsuke a pensé lorsque le principal lui a demandé s’il avait un suspect en tête. Peindre une large inscription sur un mur à cette hauteur demande une certaine aptitude physique. Son auteur a dû monter sur le toit, se laisser longuement suspendre le long d’une corde et tracer la phrase. Le tout de nuit dans un laps de temps assez limité. Mais Kyôsuke n’en a rien dit, surtout devant Madoka dont Yûsaku est l’ami d’enfance. De plus Kyôsuke ne pense pas que la jalousie l’aurait poussé à faire cela. Il commence à connaître son vrai-faux rival et sait qu’il n’est pas du genre à commettre un coup aussi bas ; surtout qu’il aurait été préférable pour lui de faire état des sentiments inverses autrement dit inscrire : " Kasuga est amoureux de Ayukawa ".

A la fin des cours, Kyôsuke choisit de ne pas passer à l’Abcb. La situation n’est pas trop propice pour l’instant à se retrouver seul avec Madoka. En arrivant chez lui, il constate que ses sœurs ont déjà informé son père. Comme ses deux filles, il préfère prendre cette histoire avec humour et lance :

- C’est vrai que cette plaisanterie n’est pas d’un très bon goût mais il vaut mieux ça que des ragots au sujet de ce que tu sais.

- Moi, je ne trouve pas cela drôle du tout, surtout pour Ayukawa, lui répond Kyôsuke.

- Si tu veux, dit Kurumi, Manami et moi on peut utiliser notre pouvoir pour remplacer "Ayukawa" par "Hiyama" sur le mur.

- Mais qu'est ce que tu racontes !? Lui demande sa sœur.

- En tout cas, toi, Kurumi et Manami, tachez de redoubler de vigilance, dit le père. C’est le genre d’évènement qui peut porter une plus grande attention sur vous, et donc une plus grande possibilité d’être surpris en train d’utiliser le Pouvoir… que vous n’utilisez jamais à l’école de toute façon.

- Bien sûr papa, répondent ses trois enfants d’une voix faussement innocente.

- M’ouais, je l’espère en tout cas.

Après le dîner, Kyôsuke s’allonge sur son lit et se questionne une énième fois sur cette inscription. Dans sa tête, les hypothèses s’enchaînent.

- Si on élimine Yûsaku, qui est ce qui reste ? Komatsu ? Hatta ? Non, alors qui ? Quelqu'un qui m’aurait vu avec Ayukawa ? A l’Abcb ? Et pourquoi ? Par jalousie ? De moi ? Non, plutôt d’Ayukawa ? Quelqu'un qui aime Ayukawa ? Non, plutôt une fille qui aime un garçon qui lui s’intéresserait à Ayukawa, du coup elle affiche qu’elle en aime un autre. Une fille aurait donc fait cela, suspendu à une corde ? Ou alors, avec l’aide de quelqu'un ? C’est vrai qu’est ce qui prouve qu’il n’y ait qu’un seul responsable ? Je n’ai même pas remarqué si l’écriture était féminine ou masculine. C’est pas grave je verrai demain. Non, demain tout sera effacé, avec tous les indices ! Si je veux savoir la vérité, c’est ce soir ou jamais.

Acte 2

Kyôsuke quitte son appartement équipé d’une lampe torche et se rend à son lycée. Il est plus de 21 heures, la nuit commence à tomber mais la lune presque entière maintiendra une certaine luminosité. Devant les grilles fermées, il choisit un coin discret pour se téléporter dans l’enceinte. Il se dirige vers le bâtiment où se lit encore l’inscription. Il utilise une nouvelle fois son pouvoir pour y pénétrer, puis monte sur le toit pour inspecter l’endroit d’où le coupable à dû s’installer pour se suspendre. A l’aide de sa lampe, il repère quelques traces de peinture noire sur le rebord du vide, sur le sol et sur la porte d’accès. Le fautif n’y a, par contre, laissé aucun objet particulier. Kyôsuke reprend les escaliers et tente de découvrir d’autres empreintes noires et d’autres indices à l’intérieur. Dans le couloir, il entend un bruit. Rapidement il éteint sa lampe et se retrouve dans la quasi-obscurité. Convaincu de ne plus être seul, il avance doucement tentant de percevoir une silhouette. Une silhouette qui le cogne brusquement à l’angle d’un mur. Il rallume sa torche et la braque sur l’individu :

- Ayukawa !

- Kasuga !

- Mais qu’est ce que tu fais ici ?!

- La même chose que toi, on dirait !

- Ce n’est pas une raison pour me suivre.

- Je ne t’ai pas suivi, figure-toi ! Qu’est que tu as trouvé ?

- Notre fameux corbeau n’a pas mis de sa peinture que sur le mur extérieur, il en a aussi laissé sur le toit, et probablement partout où il a pu passer.

- Rien d’autre ?

- Non.

- Pour moi, dit Madoka, il n’a peut-être pas pu rembarquer tout son matériel avec lui, il faut retrouver tout ce qu’il a éventuellement abandonné ici. Dis-moi, comment as-tu pu ouvrir la porte ?

- Heuh… ouvrir la porte.. ? Répond Kyôsuke troublé.

- Oui, c’est bien toi qui l’as ouverte ?

Kyôsuke a utilisé la téléportation sans vérifier si la porte était bien fermée. Ne pouvant pas révéler la véritable façon dont il s’est rendu à l’intérieur, il est obligé de mentir.

- Non, elle était déjà ouverte.

Tous deux réalisent qu’une troisième personne est arrivée avant eux. Elle est entrée sans effraction donc en ayant accès à la clef du bâtiment, tout comme pour la veille. Pour Kyôsuke et Madoka, cela ne fait aucun doute : l’auteur de l’inscription est revenu sur le lieu de son méfait pour emporter tout ce qui pourrait le trahir ; et il est probablement encore là.

- Qui possède des clefs d’ici, à part… un professeur  ?! Demande Kyôsuke.
- Oui je pense que ça doit être ça, répond Madoka. As-tu aussi remarqué que l’inscription est l’œuvre d’un gaucher ?
- Monsieur Mitsuhirato EST gaucher !!
- Son bureau est par-là, allons-y.

En se rapprochant du bureau du dit suspect, un professeur de mathématiques d’une trentaine d’année, Madoka et Kyôsuke aperçoivent une lueur passant dessous la porte. Ils l’ouvrent promptement et font face à toute la vérité. Tout y est : l’échelle de corde, le pot de peinture noire, le pinceau et monsieur Mitsuhirato pris sur le fait.

- C’était donc vous ?!? Lance Kyôsuke en colère.
- Mais qu'est ce qui vous a pris ? Rajoute Madoka tout aussi remontée.
- Attendez, je ne voulais pas vous faire du tord… il faut me croire, répond le professeur choqué de s’être fait surprendre et ne sachant que répondre.
- Tout ça ne nous dit pas pourquoi vous avez écrit ça, s’impatiente Kyôsuke.
- Vous savez, c’est très compliqué… c’est… balbutie monsieur Mitsuhirato.
- Vous préférez peut-être que le principal vous pose la question à notre place ? Demande Madoka.
- Non, non, si vous en parlez, je peux dire adieu à mon métier. S’il vous plait, n’en parlez à personne.
- Alors dites-nous pourquoi ! Insiste Kyôsuke.

Embarrassé, le professeur commence son récit.

- Voilà, hier soir à la fin de la journée, lorsque tous les élèves étaient partis, j’ai été rejoint dans la salle par mademoiselle Hoshima comme souvent. Je suis un homme marié et nous préférons rester le plus discret possible sur notre… comment dirais-je… relation. Seulement hier, un de vos camarades, Hatta, est revenu brusquement pour récupérer un objet oublié, et nous a vu elle et moi. Sachant qu’il allait répandre la nouvelle dès le lendemain, je n’ai pas eu d’autre choix que de le devancer en répandant une nouvelle dans le même genre, de façon spectaculaire pour annuler et décrédibiliser ce que Hatta aurait pu dire sur nous. Ce qui a d’ailleurs fonctionné.
- Mais pourquoi nous ? Demande Kyôsuke.
- Il fallait bien que je choisisse quelqu’un. Vous connaissant un peu tous les deux, j’ai cherché à mettre quelque chose des plus improbable.

En entendant cela, les yeux de Kyôsuke et Madoka s’ouvrir d’un mélange de stupeur et de rage. Surtout chez Kyôsuke qui attrape le bras de Madoka et lance un :

- Viens Ayukawa, nous n’avons plus rien à faire ici et plus rien à dire à ce type.
- Oui, et vous avez de la chance qu’on ne vous fasse pas payer ce que vous avez fait, rajoute Madoka.

Les deux adolescents redescendent dans la cour du lycée. Lui ne digère rien des paroles du professeur. Heureusement que l’obscurité nocturne camoufle les expressions amères de son visage.

- Vite cache-toi ! Ordonne Madoka.
- Quoi ?! S'étonne Kyôsuke.

Elle l’entraîne aussitôt derrière des buissons. Devant eux passent deux silhouettes familières, deux ombres aux voix reconnaissables :

- Mais qu’est ce tu fabriques, fait moins de bruit ! Et puis quelle idée de venir en kimono, tu ne sais pas que le blanc attire l’attention la nuit.
- Oui, mais tu ne m’as pas dit que nous devions venir ici. Tout ça en plus pour soi-disant sauver l’honneur de ce minable. Aïe ! Mais quoi !? Qu’est ce que j’ai dit ?!

Hikaru et Yûsaku… Eux aussi sont venus tenter de trouver l’identité du responsable. Madoka et Kyôsuke réussissent à ne pas leur révéler leur présence. Plus loin, il se dit à voix hautes :

- Eh bien, moi qui pensais être le seul à me retrouver ici à cette heure-ci.
- Ca rend l'endroit moins sinistre, répond Madoka.
- Et ça permet de rassurer ceux qui ne veulent pas se retrouver sans personne au cas où ils croiseraient un fantôme, plaisante Kyôsuke.
- Très drôle ! Ton sens de l’humour se bonifie avec la pleine lune on dirait, rétorque ironiquement Madoka.
- Halte-là, qui êtes vous et que faites-vous ici ?

Kyôsuke et Madoka se retournent brusquement et font face à un policier.

- Voilà donc les rôdeurs que l'on m'avait signalés. Veuillez tendre vos bras, s'il vous plaît.

Les deux surpris s'exécutent. L'agent enfile une paire de menottes au poignet gauche de Madoka et au droit de Kyôsuke. Aussitôt fait, un bruit de fuite s'entend, ce sont Hikaru et Yûsaku qui ont compris qu'il ne fallait pas s'éterniser ici. L'effet distrait quelques secondes le policier, Madoka en profite pour lui asséner un coup et engager leur évasion en tirant Kyôsuke avec elle. Tout en courant il lui dit :

- Mais tu es folle ! Tu veux vraiment nous attirer des ennuis ?!
- On avait déjà des ennuis, lui répond-elle.

A deux, ils franchissent la grille. Les menottes ne facilitent pas leur progression, surtout que Kyôsuke n'a pas la même agilité que Madoka. Une fois dans la rue, ils adoptent un pas plus lent et plus discret. Mais l'objet de métal au bout de leur bras peut trahir ce qui vient de leur arriver. Pour les dissimuler, Kyôsuke saisit la main de Madoka comme le ferait un couple d'amoureux. Elle, d'abord surprise, pose son regard sur lui. Puis comprenant son intention, sans rien dire, elle serre sa main plus fort et lui lance un sourire complice. Les passants ne manquent pas de remarquer ces deux jeunes personnes qui semblent manifester fièrement leurs sentiments réciproques.

- Tu as vu ça !? A leur âge ! Dit une dame à son mari.
- Oui et à une heure aussi tardive, on se demande ce que font leurs parents ?

Les deux remarques sifflent aux oreilles de Madoka et Kyôsuke qui font mine de ne rien avoir entendu. Plus loin, Kyôsuke reprend la voix aiguë de la dame et lance :

- Tu as vu ça, à leur âge.

Madoka commence à rigoler doucement puis plus franchement, suivie par son ami.

- Bon, on va chez moi ? Demande-t-elle
- Je crois qu'on n'a pas vraiment le choix, répond Kyôsuke toujours aussi ravi d'aller chez Madoka.

 

Acte 3

Dans la famille Ayukawa, parents et enfants ont tous une vocation et un don pour la musique. Autrement dit, dans la maison où Madoka vit désormais seule, par la moindre caisse à outils ou autres ustensiles de bricolage qui puissent leur enlever leurs menottes. D'ailleurs chez les Kasuga non plus, ils ne trouveront ni grosse pince, ni tenaille, ni scie à métaux capable de briser leur lien. Les multiples déménagements de la famille ont fait prendre l'habitude de ne pas s'embarrasser de ce genre de chose. Et il est évidemment hors de question pour Kyôsuke d'utiliser la téléportation pour déplacer son poignet ou l'objet métallique devant Madoka.

- Bien si t'as une idée, c'est le moment, lui propose t'elle.
- Non, ces chaînes n'ont pas l'air de se défaire si facilement.

On sonne à la porte.

- Tu attends quelqu'un ? Demande Kyôsuke affolé.
- Non, attends, je regarde qui c'est. Hikaru ! Pourquoi est-elle là ?
- Faisons comme s'il n'y avait personne.
- Impossible, elle a vu la lumière. Cache-toi dans le placard, pendant que j'ouvre la porte.

Kyôsuke se met dans le placard juste derrière la porte d'entrée. Madoka lui laisse amener sa main avec lui et ouvre à son amie en restant dans l'entrebâillement.

- Salut Madoka, tu ne dormais pas, au moins ?
- Non, qu'est-ce que tu voulais ?
- Oh, pas grand chose… juste un peu de piment pour me dépanner.
- Euh… oui, oui, sers-toi dans la cuisine.

Hikaru rentre aussitôt et se dirige vers l'endroit indiqué sans rien remarquer du "convive". Une fois celle-ci hors de vue, Madoka ferme rapidement la porte, tire Kyôsuke de sa cachette et l'amène dans le salon. Elle l'envoie sous le canapé, s'allonge dessus et allume la télévision à l'aide de sa télécommande. A son retour, Hikaru découvre son amie affalée sur le ventre comme elle pourrait le faire tous les soirs avant de se coucher avec une main gauche posée machinalement dessous le meuble.

- Ca y est, j'ai ce qu'il me faut.
- OK, si tu n'as plus besoin de moi, tu n'auras qu'à fermer la porte derrière toi.
- D'accord bonne nuit.
- Bonne nuit.
- Euh… Madoka ?
- Oui ?
- En vérité j’aimerais te demander...
- Oui, quoi ?
- Dis-moi, qu'est ce que tu penses vraiment de Kyôsuke ?

Madoka cache rapidement sa surprise et sa gêne devant une telle question et répond :

- Toi, tu ressasses encore à ce qui est inscrit sur le mur, n'est ce pas ?
- Oui. Je sais, c'est idiot, mais je n'arrive pas comprendre pourquoi quelqu'un aurait intérêt à ce que tout le monde sache qui tu pourrais aimer.
- Je te l'ai dit, c'est juste un imbécile qui veut se faire remarquer. En réagissant comme cela, tu ne fais que lui donner raison. Ne va pas croire qu'il avait forcément une bonne raison d'écrire mon nom et celui de Kasuga plutôt qu'un autre.
- D'accord, excuse-moi de t'avoir dérangée. De toute façon, je suis sûre que si tu tombes un jour amoureuse d'un garçon, je serais la première à qui tu le diras. Sur ce, merci encore pour les épices.

Hikaru s'en va, permettant à Kyôsuke de sortir de sa cachette.

- Eh bien, c'était juste dit-il.
- Oui, mais ça ne nous dit pas comment on va se défaire des menottes.

La porte s’ouvre à nouveau. Hikaru est de retour.

- Madoka, je voulais de dire aussi que…

Elle s'arrête net en voyant que celle-ci n'est pas seule. Ses yeux se mouillent avant d'éclater d'hystérie.

- Méchant ! Méchant ! Kyôsuke je te déteste ! Pourquoi tu me fais des choses pareilles !
- Attends, attends, je vais t'expliquer, c'est parce que…
- Tu es un monstre, c'est toi qui t'es fait surprendre tout à l'heure dans la cour du lycée, tu as entraîné Madoka et tu as risqué de la faire renvoyer avec toi ! Qu'est ce que je serais devenu, moi, si vous aviez dû changer d'établissement !?

Kyôsuke s'abasourdit de cette dernière déclaration.

- Si je comprends bien, tu y étais toi aussi ? Demande Madoka feignant l'étonnement.
- Oups, j'en ai trop dit, répond Hikaru en reprenant son air malicieux. J’avoue que j’étais très curieuse de découvrir le dessous de l’affaire. D'ailleurs vous avez trouvé le coupable ?

Madoka et Kyôsuke se regardent un bref instant et répondent négativement.

- Dis-moi, demande Madoka en montrant son poignet, tu n'aurais pas quelque chose pour nous débarrasser de ça ?
- Si, chez moi, je dois avoir une pince-monseigneur, je vais vous la chercher.

Hikaru s'exécute immédiatement, laissant les deux autres attendre. Kyôsuke est soulagé de la façon dont le retour surprise s'est opéré. Il est tout de même un peu déçu de savoir que d'ici quelques minutes, le lien qui le retient à Madoka n'existera plus. Ces quelques minutes écoulées, le téléphone sonne. Madoka décroche au côté de Kyôsuke qui écoute. Au bout du fil, Hikaru lui explique que sa mère ne veut pas qu'elle ressorte si tard et qu'elle ne viendra que le lendemain matin. Après avoir reposé le combiné, les deux enchaînés se regardent en souriant.

- Bon, je crois qu'il va falloir que je t'offre l'hospitalité pour la nuit, lui dit Madoka.
- Oui, j'espère que… disons que… ça ne te pose pas de problème, répond-il un peu embarrassé.
- Ca me va, du moment que ça ne sera pas écrit sur les murs du lycée, plaisante t'elle.
- Ah, ce serait vraiment improbable !
- Improbable n'est pas impossible, Kasuga.

Madoka propose de faire de la place dans le salon pour installer deux matelas côte à côte et deux couettes.

- On ne peut tout même pas arriver au lycée demain sans avoir dormi de la nuit.

Kyôsuke est un peu surpris par l'initiative de Madoka. Du coup, il se met à faire " comme chez lui ".

- Kasuga ?
- Oui.
- Si ça ne te gêne pas, je préfèrerais que tu gardes ton pantalon.
- Oui, oui, euh… excuse-moi.

Kyôsuke ne doit pas oublier que Hikaru passe demain matin à la première heure. Tous deux s'installent chacun de leur côté. Madoka éteint la petite lampe qu'elle avait installée près d'elle, laissant place à une totale noirceur. Après quelques longues secondes de silence.

- Ca va, tu es bien ? lui demande-t-elle

Comment pourrait-il en être autrement. C'est justement ce qui va arriver. Kyôsuke sent l'envie d'un petit besoin naturel. Impensable de demander à Madoka de l'accompagner ne serait-ce qu'une petite minute dans un exercice aussi intime. Kyôsuke se dit qu'il attendra qu'elle soit endormie pour se libérer des menottes à l'aide du Pouvoir et les remettre juste après. Environ une demi-heure plus tard, il peut mettre son plan à exécution.

 

Epilogue

Le lendemain, Hikaru sonne à la porte avec la pince-monseigneur. Elle les libère sans trop se demander comment s'est passé leur nuit. Une fois le métal brisé, Madoka dit à Kyôsuke :

- C'est toi l'invité, Kasuga, tu as droit au premier tour pour aller aux toilettes.

Kyôsuke accepte cette politesse pour éviter de laisser suspecter qu'il y a été avant. Un peu plus tard, il arrive au lycée au côté de Madoka et Hikaru. Déjà, des ouvriers en bâtiment s'affairent à repeindre le mur par-dessus l'inscription. L’histoire se termine donc comme elle a commencé : par des coups de pinceau. Peu à peu, les autres lycéens oublient cette affaire, une affaire dont ils ne connaîtront ni l’auteur, ni les évènements de la nuit passée. Sauf Manami et Kurumi qui se sont fait expliquer par Hikaru les raisons de l'absence nocturne de leur frère. En revenant chez lui en fin de journée, Kyôsuke est surpris de se s'entendre questionner par Kurumi :

- Alors comment c'était la nuit chez Madoka ?
- J'espère que tu t'es bien comporté au moins ? Rajoute Manami.
- Mais de quoi vous vous mêlez ?!
- C'est une question d'honneur familial. Je te signale que tu n'es pas du genre à être très soigneux vis-à-vis de l'endroit où tu vis, lui dit Manami.
- Comment ça ? Lui demande son frère.
- Tu as parfois tendance à laisser trop de traces de ton passage, si tu vois ce que je veux dire…
- Non, je ne vois pas. C'est pas possible d'avoir des sœurs pareilles.

Peu après, Kyôsuke percute les paroles de sa sœur. Chez Madoka, il se rappelle ne pas avoir rabaissé la lunette des toilettes. Puis en cherchant dans ses souvenirs, il réalise que celle-ci était bien remise en place le matin lorsque Madoka lui a respectueusement laissé la priorité.

Fin

JérômeActarus

Août 2002