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Réflexion 40 :

KOR ou l'apologie de la faiblesse masculine
Par Florian
Mise à jour du 17 Avril 2011

 

Lorsque l’on s’intéresse à ce qui est dit de KOR sur le net (ce site en est une bonne illustration) l’œuvre semble poser deux grandes questions. Premièrement, comment se fait-il que Kyosuke, a priori personnage principal de l’histoire, apparaisse systématiquement au second plan, éclipsé dans les commentaires des fans par Hikaru et, surtout, par Madoka ? L’objet de cette réflexion sera de démontrer que Kyosuke sert bien à quelque chose… (si, si, je vous assure) et qu’il est peut être bien le véritable héros de l’histoire à travers son archétype du looser flamboyant. La seconde grande interrogation porte sur « l’effet second » que semble provoquer la série sur tous ceux qui s’y sont plongés. Cette sensation, abondamment décrite dans les témoignages proposés sur le site, semble avoir amené beaucoup d’entre nous à une forme d’introspection. Et le point de départ de cette réflexion n’est autre que ma propre introspection, que je vous livre à présent.

Comme l’ont ressenti d’autres personnes, j’ai moi aussi été touché par « l’effet second » que provoque cette histoire d’apparence tout à fait insignifiante et j’ai cherché à en comprendre les raisons… d’autant qu’il y avait belle lurette qu’une fiction basée sur des amourettes entre ados ne m’avait plus ému. Alors pourquoi KOR est-il sorti du lot ? Certes, il y a indiscutablement cette justesse dans l’évocation de l’adolescence : premiers sentiments, premières fêtes et vacances entre amis, le tout sur un fond d’insouciance assumée et terriblement rafraichissante. Les Dawson ou Frères Scott avec leurs intrigues prises de tête nous auraient presque fait oublier qu’à l’adolescence, il n’y a pas grand-chose pour détourner nos pensées de ce sujet éminemment important que sont les filles.

Mais mon esprit exagérément analytique percevait quelque chose de plus dans KOR, au-delà de la nostalgie et de l’évocation de l’adolescence, aussi magiques soient-elles. Et j’eu la révélation en me concentrant justement sur Kyosuke. Transcendant ses innombrables défauts, il y a quelque chose de génial dans la conception de ce personnage, qui implique de le placer au cœur de l’intrigue : Kyosuke est l’incarnation de l’incommensurable faiblesse masculine à l’égard des femmes. En partant de cette analyse, toute l’histoire s’éclaire.

Au départ, Kyosuke c’est un garçon qui lit des magazines érotiques et phantasme des scènes de nu avec les filles de son école. Bref, c’est un adolescent normalement constitué. Puis, deux jolies jeunes filles vont s’aguicher de lui. Acte fondateur de sa faiblesse, le pauvre Kyosuke se laisse doublement harponner. Il profite un peu de la situation (ce n’est qu’un homme après tout), mais il est surtout complètement dépassé. Dans un autre contexte, il aurait été facile de le traiter de salaud. Mais Kyosuke est là pour démontrer que même un gentils garçon plein de bonnes intentions peut se retrouver dans ce genre de posture (j’attire votre attention sur ce point, Mesdames). On retient de Kyosuke qu’il est maladroit, indécis et un peu idiot… on en oubli qu’il est, d’abord et avant tout, faible.

Le fait qu’il soit adolescent ne fait que renforcer la caricature : de part son inexpérience, il comprend d’autant moins ce qui lui arrive (mais une fois l’adolescence passée, nous ne sommes pas forcément beaucoup plus compétents). C’est également l’une des raisons de ses pouvoirs : même un surhomme ne peut pas grand-chose face aux filles. Un drôle de super héros, certes, mais son personnage étant d’abord celui du gentil garçon, difficile de lui donner une force morale à la hauteur des ses pouvoirs… il serait devenu un salaud. Comme la plupart des personnages de manga, Kyosuke a des pouvoirs. Mais là où beaucoup y ajoutent la détermination, lui ne peut en être doté (ceci dit, la détermination, ça marche peut être avec les extra-terrestres hostiles, les méchants ninjas et les démons en tout genre, mais avec les filles).

Adolescent normalement constitué, innocent et doté de super pouvoirs, Kyosuke est l’anti-héros parfait, mais en même temps tellement humain et tellement… masculin. On comprend donc que le bougre profite de la situation et de l’intérêt simultané de jolies filles à son égard. Et toute la justesse de KOR va être de le confronter aux deux grands versants de la faiblesse masculine, magnifiquement personnifiés par Hikaru et Madoka.

Hikaru, la fille à laquelle on cède.

Parce qu’elle est mignonne, vive, a un côté épouse idéale… ou plus simplement parce qu’elle est disponible est entreprenante, Hikaru représente toutes ces filles dont notre faiblesse nous amène à accepter les avances. On a bien conscience que c’est malhonnête, mais on ne sait pas lui dire non. On se prend même à penser que l’on a un avenir avec elle, on se trouve de bonnes raisons de la fréquenter, mais la raison n’est pas la passion. Bref, Hikaru est la fille que l’on apprécie mais dont on n’est pas amoureux. C’est la conclusion à laquelle arrive Kyosuke, mais sa faiblesse l’a déjà amené au point de non-retour. Il a beau être gentil et avoir des pouvoirs, il est condamné à la blesser.

 

 

Madoka, la fille à laquelle on succombe.

Elle est belle, ténébreuse, a du caractère et un côté sulfureux… Madoka est le phantasme masculin absolu, la fille pour laquelle on se passionne. Quitte à se brûler les ailes. Quel garçon n’a pas ressenti ce genre de sentiments tout à fait déraisonnable ? Face à une telle personnalité, Kyosuke n’avait pas la moindre chance. Les fans féminines de KOR ne s’y trompent d’ailleurs pas quand elles aspirent à ressembler à la fascinante Madoka plutôt qu’à la touchante Hikaru.

Dans ce jeu de personnification, les filles peuvent donc s’identifier à un idéal de femme forte et les garçons à la caricature de leur faiblesse. Tout le monde y trouve son compte ! Mais Kyosuke a quelque chose de plus, qui va parvenir à nous faire envie. Car malgré ses faibles qualités, la fille fascinante, il va réussir à la séduire et il va même réussir à la faire changer.

Au début, Madoka est considérée comme une délinquante, mais peu de chose viennent vraiment étayer cela. Elle fume, passe ses nuits en boite et boit un peu d’alcool, rien de bien méchant pour une jeune fille laissée à elle-même par ses parents (je trouve même sa crise d’adolescence plutôt soft). Si, dans le DA, certains épisodes la mêlent à des bagarres de rues et laissent supposer qu’elle en a une certaine pratique, rien de tout cela dans le manga. Le seul passage du manga à évoquer ce thème se déroule dans un univers parallèle… où Kyosuke n’a jamais existé (tout un symbole). Madoka est donc une vilaine fille, mais c’est d’abord un genre qu’elle se donne et Kyosuke va réussir à la faire évoluer (comme l’explique Hikaru à la fin « quelle fille voudrait passer pour une délinquante aux yeux de celui qu’elle aime ? »). Sur ce point, Kyosuke réussi à dépasser sa caricature et à nous faire rêver.

Cette réflexion sur la faiblesse masculine est un des gros points forts de KOR, ce qui donne à la série une justesse et une dimension intemporelle, au-delà de la nostalgie de l’adolescence ou des années 80, au-delà de ses qualités esthétiques et dramatiques. Tout est construit autour de cette idée d’hommes faibles et de femmes qui ont la maîtrise de l’action. Forcément, puisque c’est de sentiments qu’il est question.

Considérons un instant l’ensemble des personnages. D’un côté, les personnages féminins. Outre Madoka et Hikaru, Manami et Kurumi, la grand-mère, mais aussi la cousine Akane et Sayuri (malheureusement absentes du DA). Autant de personnages forts, qui dirigent l’action et ont une forme de pouvoir (qu’il s’agisse de pouvoirs surnaturels ou d’un pouvoir de séduction).

De l’autre, les personnages masculins : une belle brochette de tocards ! Un père, souvent absent pour des raisons professionnelles, et qui ne dégage pas franchement l’image d’une figure d’autorité. Le fait qu’il apparaisse souvent dans son rôle professionnel plutôt que dans son rôle de père traduit sa passivité : photographe, il est avant tout spectateur de l’action, et encore, il n’en saisi que des bribes, des instantanés. Le père de Madoka, qui apparait brièvement, ne dégage pas beaucoup plus d’autorité parentale, puisque c’est sa fille qui décide où elle veut vivre (la mère est au moins capable de quelques sarcasmes à l’égard de Madoka). Cette fois il a un paradoxe avec son métier puisque le grand chef d’orchestre ne maîtrise pas grand-chose. Je passe rapidement sur Komatsu et Hatta qui ne surpassent pas le stade de l’ado pervers (mais normalement constitué). Et que dire de Yusaku, l’un des rares à posséder une certaine force, mais qui subit complètement l’action et le rejet d’Hikaru.

Quelques hommes échappent vaguement à ce musée des loosers, mais cela tient à leur fonction dans l’intrigue amoureuse. Le Grand père se veut le patriarche qui guide Kyosuke pour lui faire prendre conscience de ses sentiments… mais il est maladroit, un brin pervers et souvent irresponsable (rappelons qu’il fait un saut dans le temps pour s’acheter des crêpes). Kazuya est lui aussi doté de pouvoirs, mais il est clairement là pour être le miroir de son cousin. Miroir de l’âme puisqu’il exprime tout haut les sentiments de Kyosuke et en particulier sa préférence pour Madoka (il n’y a d’ailleurs guère que les pensées de Kyosuke qui soient explicitées par le garçon). Mais il est également son reflet de par sa ressemblance physique et le fait qu’il tombe dans les mêmes travers que Kyosuke. Bref, il est là pour renvoyer à Kyosuke sa propre image et appuyer sur ses défauts.

Reste Master, le seul à être à peu près inattaquable. Le pauvre homme se retrouve obligé de jouer les pères de substitution (du moins les grands frères) pour tous ces ados. Il est donc un peu le confident, un peu celui qui perçoit les sentiments des uns pour les autres, un peu le personnage refuge (l’ABCB étant lui-même un lieu refuge). Mais en assumant ce rôle, il n’a pas de prise sur l’action, il n’en est jamais le moteur. Désincarné (on ne connait pas son véritable nom dans la VO), sa vie privée et ses sentiments n’interviennent pas dans l’histoire et s’il est le « Master », c’est en tant que premier spectateur, personne la mieux placée pour comprendre les autres. L’incarnation de l’auteur au sein du manga ? (comme le laisserait penser sa passion pour Genesis)

Je n’énumère pas tout le monde, mais l’idée est là : ce sont les filles qui ont le pouvoir. Même Kyosuke, pourtant personnage principal, ne fait que réagir en fonction d’elles. Sa principale qualité n’est-elle pas, d’ailleurs, d’être au centre de leurs attentions ? Même si sa faiblesse n’en est que mieux soulignée. Le fait qu’il soit la marionnette des filles devient franchement explicite dans les épisodes qui traitent de l’hypnose. Le seul qui se retrouve manipulé (y compris par sa sœur) est toujours Kyosuke. Même quand celui-ci pense avoir hypnotisé Madoka, il se révèle, en définitive, être le dindon de la farce. Et tout au long de KOR, il sera la marionnette des invitations, des attentions et des coups de gueule des filles autour de lui. Seule exception : l’épisode du champignon de la vérité, plus marquant dans le DA que dans le manga, car c’est la seule fois où une faible Madoka succombe totalement à Kyosuke. Dans d’autres épisodes marquants, ceux du saut dans le temps, on retrouve un peu cette inversion des rôles (mais Kyosuke n’a alors à faire qu’à des gamines, non à des jeunes filles). C’est sans doute pour cela qu’ils sont parmi les plus mémorables de la série.

Par la force des choses, ou plus exactement parce que Madoka, Manami et finalement Hikaru ont décidé d’agir, Kyosuke devra sortir de son état d’hypnose et d’envoutement : il devra devenir un peu plus que l’expression de notre faiblesse. Et si on l’apprécie, c’est aussi parce qu’il va à peu près réussir. Au final Kyosuke arrivera à se montrer fort pour Madoka. Parce qu’elle a un peu changé pour lui, il va bien falloir qu’il arrive à s’améliorer pour elle. Ce dépassement est celui auquel nous aspirons tous et Kyosuke devient enfin notre héros. Ce sont autant les difficultés rencontrées que ce dépassement final qui font de lui un personnage attachant et le charme de la série. Mais une fois le personnage de Kyosuke accompli, l’histoire s’achève. Peut être deviendra t-il un véritable super-héros, en révélant ses pouvoirs à Madoka et en surmontant sa faiblesse de caractère pour elle ? Mais ça c’est une autre histoire et il ne s’agit plus vraiment de KOR.

En revanche, pour nous simples mortels, l’histoire continue. Nous avons à nouveau besoin de trouver une expression de notre faiblesse, un nouveau modèle capable de nous prouver que nous ne sommes pas pires que les autres hommes et de nous montrer la voie. Avec un peu de recul, je me demande si « l’état second » ressenti par tous ceux qui se sont passionné pour KOR, celui qui continue de les habiter une fois la lecture terminée, n’est pas en partie lié à ce besoin d’expression de notre faiblesse. Pour reprendre un terme savant, Kyosuke est notre catharsis. Son accomplissement personnel, le fait qu’il devienne un homme, un vrai (à travers LA femme), est à la fois rassurant et inquiétant. Il nous faut à présent trouver une nouvelle égérie à notre faiblesse et c’est aussi en cela que KOR nous fait ressentir un effet de manque en s’achevant.

 

Ecrit par Florian
Le 17 Avril 2011

 


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